La déesse mère et ses homosexuels

L’homosexualité constitue la norme, tandis que l’hétérosexualité représente une anomalie. Cette thèse est aujourd’hui bien connue. On sait dans quel genre de milieux elle a germé et quels genres de milieux la disséminent depuis quelques décennies. Les découvertes plus ou moins récentes de la zoologie et de l’anthropologie la confirment aussi pleinement du point de vue évolutionniste qu’elles la réfutent catégoriquement d’un point de vue supérieur. D’une part, les études du comportement sexuel dans le monde animal ont montré, non seulement que l’homosexualité est un aspect important de la sexualité animale, mais que de nombreuses espèces se livrent bien plus souvent à des pratiques homosexuelles qu’à des pratiques hétérosexuelles, sans compter que l’homosexualité semble contribuer à la bonne reproduction de certaines espèces. D’autre part, un examen des pratiques sexuelles en vigueur chez les sauvages et plus généralement dans les anciennes civilisations non blanches a établi que l’homosexualité y a toujours été très répandue (i). Selon le postulat évolutionniste, il s’ensuit que, comme l’homme descend du singe, la sexualité humaine trouve son origine dans la sexualité des primates, que, comme l’homosexualité est courante chez les primates, elle doit l’être aussi chez les hommes et que, tout ce qui est naturel étant par la même positif et, par extension, normatif, il est non seulement naturel, mais normal, que l’homme soit homosexuel. De même, selon un vieux postulat humaniste qui a la vie dure, le sauvage, n’ayant pas été en contact avec la société, étant au contraire resté proche de l’état de nature, aurait gardé de ce fait des qualités spécifiques considérées comme idéales et conformes à la norme qui feraient de lui un être fondamentalement sain et digne d’être imité et, comme l’homosexualité fait partie de ces qualités, celle-ci est érigée en norme sexuelle pour l’ensemble des hommes. Au fond, le premier postulat dérive du second, la doctrine évolutionniste est l’aboutissement logique de la théorie du « bon sauvage ». Une fois que l’esprit scientifique s’est substitué à la sentimentalité dans la pensée schizophrénique, pour laquelle tout individu à l’état de nature est l’idéal humain, il est mécaniquement fatal qu’elle en vienne à attribuer à l’homme un rang encore plus inférieur à celui qu’occupent les sauvages dans le règne animal. Sur le plan psychologique, les scientifiques qui défendent la théorie de l’origine simiesque de l’homme n’ont jamais réussi qu’à prouver qu’ils se pensent comme les rejetons de primates. La réalité est que, comme le souligne Julius Evola à la suite de Joseph de Maistre, le singe descend de l’homme par involution et que, semblablement, les peuples sauvages, loin d’être des peuples primitifs au sens d’originels, constituent des résidus dégénérés, crépusculaires, sénescents de races qui ont disparu à des époques reculées. Leur disposition à l’homosexualité n’est qu’un des symptômes de leur dégénérescence. L’homosexualité endémique que connaissent les pays de race blanche depuis plusieurs décennies ne peut s’interpréter du point de vue de la psychologie que comme une régression collective, une primitivisation et, dans l’optique du racisme, que comme un des nombreux effets dysgéniques du métissage. C’est ici que les considérations d’ordre historique qui sont développées dans l’hymne à l’homosexualité masculine que constitue The Origins and Role of Same-Sex Relations in Human Societies s’avèrent d’un grand intérêt dans une perspective raciste. Les comportements homosexuels sont attestés par l’iconographie dès le paléolithique chez les Amérindiens, dont il semble qu’ils descendent tous d’une population du paléolithique supérieur originaire du site de Mal’ta en Sibérie centrale (ii) qui se serait mêlée très tôt à son arrivée sur le continent connu plus tard sous le nom d’Amérique à des tribus en provenance du Groenland (iii) ; chez les amérindiens, donc, mais aussi, dès la fin de l’âge de la pierre, chez les peuples de l’ouest du Pacifique, qui sont issus du croisement de populations négroïdes, caucasoïdes et mongoloïdes (iii). Les statuettes de femmes retrouvées sur le site archéologique de Mal’ta suggèrent que la culture correspondante, la première connue dans cette région, pourrait avoir été une société de type matriarcal (iv) (iv bis). De même, un certain nombre de clans polynésiens et mélanésiens présentent les caractéristiques des sociétés matriarcales (v), à tel point que le droit de la mère s’y rencontre « dans sa forme la plus pure » (vi) et que l’homosexualité masculine est au centre des rituels pratiqués en l’honneur des déesses mères locales (vii). Il est particulièrement intéressant et significatif de constater que, à l’époque historique, l’homosexualité rituelle masculine fut une des caractéristiques de la civilisation qui est en fait considérée comme la toute première civilisation urbaine : Sumer, où, là encore, l’homosexualité rituelle masculine était intimement liée au culte de la déesse mère, comme elle le sera dans la civilisation judéo-cananéenne (viii). L’auteur ne semble pas s’être rendu compte de la signification de la chose, ni de sa persistance à l’époque actuelle, quoique sous des formes subtiles et dans des atmosphères feutrées, sans que diminue pour autant le nombre de sacrifices propitiatoires à la déesse mère. Les prêtres homosexuels de la déesse mère étaient des prêtres de second rang. Qui pourraient être aujourd’hui leurs successeurs, si ce n’est les membres du milieu interlope des arts et de la « culture », du journalisme, de la mode et de la « com’ », auxquels il faut ajouter naturellement les prostitués ? (ix) (ix bis)

A la fin de la dernière période glaciaire, les chasseurs-cueilleurs, réunis, pour certains d’entre eux, en communautés, commencèrent à compléter leur alimentation, composée de gibier, de fruits à coque et de baies, par des céréales qu’ils avaient appris à cultiver dans de petites parcelles adjacentes à leurs habitations. À peu près au même moment, ils commencèrent à élever de jeunes animaux prélevés dans des troupeaux sauvages de bovins, d’ovins et de caprins, ce qui leur permit de se procurer beaucoup plus facilement de la viande. Le développement de l’agriculture et de l’élevage eut un impact considérable sur ces tribus. De fait, les universitaires présentent l’apparition de l’agriculture comme une ligne de démarcation dans le développement de la culture humaine et désignent sous le nom de paléolithique, ou âge de la pierre ancienne, l’époque où se développèrent les premières sociétés de chasseurs-cueilleurs et sous celui de néolithique, ou âge de la pierre nouvelle, la période où se développa l’agriculture.

Alors que les chasseurs-cueilleurs du paléolithique avaient un état nomade, la culture des céréales attacha les premiers agriculteurs à la terre dans des endroits spécifiques et rendit leur mode de vie plus stable. De même, les mythes et les rituels des chasseurs-cueilleurs, qui impliquaient une communication mystique avec les esprits des animaux qu’ils chassaient pour manger, céda la place à des rituels visant à favoriser la fertilité des cheptels et l’abondance des récoltes. Le mode de vie des Indiens d’Amérique du Nord était similaire à celui des tribus du paléolithique, avant que les Européens ne colonisent ce continent. Avant cette colonisation, les Indiens des Grandes Plaines avaient un mode de vie semblable à celui des clans du paléolithique qui chassaient les grands troupeaux d’animaux de pâturage dans les plaines d’Eurasie qui se trouvaient au sud des champs de glace du pléistocène. Les Indiens des plaines chassaient les troupeaux de bisons qui parcouraient les plaines nord-américaines et dépendaient de leur viande pour se nourrir et de leurs peaux pour se vêtir et s’abriter. Attachés aux troupeaux de bison plus qu’à la terre, les tribus indiennes des Grandes Plaines se déplaçaient au gré des déplacements de ces troupeaux. En revanche, les Pueblos, dans le Sud-Ouest américain, cultivaient le maïs et vivaient en communautés dans des habitations en briques de boue situées près de leurs cultures. Alors que les Indiens des Grandes Plaines s’habillaient de peaux d’animaux et stockaient les céréales dans des paniers de paille, les Pueblos tissaient leurs vêtements et fabriquaient de la poterie en céramique pour entreposer leurs céréales.

À partir de 9 000 ans avant notre ère, des communautés sédentaires semblables à celles des Pueblos commencèrent à se former dans les vallées fluviales fertiles du Moyen-Orient. Cultivatrices de blé et d’orge, céréales qui, à l’époque, poussaient à l’état sauvage dans une ceinture qui allait de l’Asie Mineure au nord de l’Iran, les premières communautés agricoles prospérèrent grâce au climat doux et aux pluies régulières des zones de montagne de cette région. Au VIIIe millénaire avant notre ère, des villes faites de maisons en briques de boue, semblables à celles des Pueblos, commencèrent à apparaître, d’abord vers 8 000 avant notre ère. à Jéricho, site d’une grande oasis et peu après à Jarmo, au nord de la Mésopotamie (1). La poterie en céramique fut inventé vers 6500 avant notre ère, à Çatal Hüyük, dans le Sud de l’Anatolie (2) et, dès le début du millénaire suivant, des outils de cuivre étaient utilisés dans l’Est de cette région (3).

Il est évidemment impossible de savoir avec certitude dans quelle mesure l’homosexualité existait dans ces premiers clans et tribus. Toutefois, étant donné l’incidence des fortes tendances homosexuelles des primates sur l’évolution sexuelle humaine et ce que l’existence de l’homosexualité dans pratiquement toutes les sociétés tribales aborigènes du monde entier révèle au sujet de la sexualité humaine, il semble y avoir peu de doute que l’homosexualité était répandue chez les tribus du néolithique, comme elle l’avait été chez les tribus du paléolithique ; il semble également certain qu’elle présentait des motifs similaires à ceux qui ont été observés chez les populations tribales actuelles. Au cours des millénaires suivants, alors que les connaissances en matière de cultures vivrières et d’élevage se répandaient lentement dans toute la région sus-mentionnée, un mode de vie de plus en plus raffiné se développa parmi les peuples qui y demeuraient. La division du travail et la spécialisation des rôles devinrent de plus en plus complexes, une multitude de professions apparut, dans l’agriculture, l’artisanat et le commerce. En 4500 avant notre ère, une céramique fine, peinte de motifs géométriques sophistiqués, était fabriquée dans toute la Mésopotamie septentrionale et exportée jusque sur la côte méditerranéenne (4). Les rituels des chamans du paléolithique se transformèrent en rituels complexes présidés par un sacerdoce qui commençait à exercer une influence et une autorité croissantes dans les communautés. Médiateurs entres ces communautés et la déesse, dont on pensait qu’elle influait sur la fertilité des cultures et la fécondité du bétail, les prêtres en vinrent progressivement à s’occuper de la gestion et de la coordination du travail nécessaire à la production agricole.

Au début du quatrième millénaire avant notre ère, les peuples qui s’installèrent sur le delta fertile compris entre le Tigre, l’Euphrate et le golfe Persique découvrirent les techniques d’irrigation des cultures. Grâce à cette avancée, ils firent des des récoltes d’une telle abondance que, pour la première fois, un peuple produisit plus de nourriture qu’il ne lui en fallait pour survivre. Les excédents, qui étaient échangés avec des peuples lointains contre des matières premières comme le bois et les pierres précieuses, servirent de base à l’accumulation de richesses et permirent aux villes du delta de connaître la même croissance économique que les villages agricoles de la région. Une partie de la société n’eut plus, comme les hommes des premiers temps, à se battre quotidiennement pour sa survie et put consacrer du temps à l’administration politique et aux activités intellectuelles et artistiques. L’écriture fut inventée, l’astronomie et les sciences mathématiques se développèrent, une architecture monumentale vit le jour et l’art figuratif remplaça l’art essentiellement décoratif des périodes antérieures. Les réalisations politiques, économiques et culturelles qui en résultèrent formèrent la base de la civilisation qui reçut plus tard le nom de sumérienne. L’infrastructure économique et politique qui se développa dans ces villes-états servit de prototype aux civilisations babylonienne et assyrienne qui devaient leur succéder et aux grandes civilisations qui devaient naître plus tard en Égypte et autour de la Méditerranée et dans la vallée de l’Indus en Inde ainsi qu’en Chine

Au cours des mille ans de développement florissant qu’elles connurent, les villes-états mésopotamiennes restèrent une île de civilisation dans une mer de cultures tribales néolithiques. Au fil du temps, les prospères Sumériens devinrent la cible des prédations et des invasions de plus en plus fréquentes des tribus montagnardes voisines et des peuples nomades des steppes arides du nord et du sud. Du sud les tribus nomades sémitiques allaient vers le nord, non seulement parce qu’elles étaient à la recherche de pâturages plus verts, mais aussi parce qu’elles étaient attirées par la richesse des villes-états sumériennes. Vers 2300 avant notre ère, Sargon le Grand, roi-guerrier qui descendait des tribus nomades sémitiques qui s’étaient installées au nord et à l’ouest de la vallée du fleuve, conquit les villes-états mésopotamiennes et les groupa en une union politique qui devint l’empire akkadien. Vers la fin du troisième millénaire avant notre ère, après une brève restauration du pouvoir sumérien, le peuple sémitique des Amorrites conquit la région et y constitua l’empire babylonien, qui devait durer, sous une forme ou une autre, près de deux mille ans. Au cours des siècles suivants, la culture sumérienne conserva une forte influence sur la vie à Babylone, à tel point qu’une grande partie de la littérature et des documents continua à être écrite en langue sumérienne. De même, les Assyriens, qui succédèrent aux dirigeants amorrites à Babylone, adoptèrent quasiment tels quels la structure politique et la tradition juridique des Babyloniens ainsi que les rituels du culte qui étaient pratiqués par les Sumériens depuis les temps les plus anciens. En raison de la continuité dans les traditions artistiques, politiques, juridiques et religieuses de l’époque sumérienne à l’époque assyrienne, il est possible de considérer les cultures successives de Mésopotamie comme un bloc.

Les pratiques homosexuelles des Mésopotamiens

Les vestiges archéologiques de ces cultures mésopotamiennes révèlent une société complexe, stratifiée, dont la classe dirigeante vivait dans le luxe, soutenue par une classe ouvrière organisée et prospère. Les poteries gracieuses, les objets de luxe, les bijoux magnifiquement ouvragés et les objets d’art témoignent du raffinement du mode de vie des Babyloniens. Les objets d’art, les textes juridiques et religieux et la littérature qui ont survécu de cette période donnent un aperçu des habitudes sociales et sexuelles du peuple. Ce matériau démontre amplement que, à l’aube de la période historique, les pratiques homosexuelles des Babyloniens, très probablement héritées des mœurs de leurs ancêtres du néolithique, étaient déjà bien établies parmi les habitants de la plus ancienne des civilisations.

Parmi les objets d’art trouvés dans les vestiges archéologiques figurent de nombreuses statuettes en terre cuite de couples ayant des rapports sexuels et beaucoup représentent deux hommes, dont l’un pratique la sodomie sur l’autre. Ces statuettes, datées du début du troisième millénaire avant notre ère, ont été trouvées à Uruk, Assur, Susa et Babylone et fournissent des preuves solides que les pratiques homosexuelles étaient répandues chez les peuples de cette civilisation ancienne (5). Une autre source d’informations sur les comportements sexuels des peuples mésopotamiens se trouve dans les textes juridiques des périodes sumérienne, babylonienne et assyrienne. Le Code d’ Hammourabi, daté d’environ 1700 avant notre ère, contient des dispositions relatives à certains aspects de la sexualité tels que l’adultère et la prostitution, mais ne fait aucune mention de l’homosexualité. L’absence d’interdictions de l’homosexualité dans une civilisation dont tout montre que ce comportement sexuel y était présent prouve qu’elle y était acceptée. Un code de loi assyrien du milieu du deuxième millénaire avant notre ère contient deux dispositions concernant l’homosexualité. Le paragraphe 19 prévoit une sanction pénale contre un homme qui lance « une rumeur sur son voisin en privé, en affirmant:que des gens ont couché avec lui à plusieurs reprises et qui est incapable d’étayer son accusation. » Une autre disposition de ce code punit un homme pour avoir accusé sans preuve la femme d’un voisin de se comporter comme une prostituée, en prenant de nombreux amants (6). Un autre paragraphe précise qu’un homme qui viole un autre homme doit être lui-même soumis à une pénétration forcée (7). Ces lois n’auraient eu aucun sens, si l’homosexualité n’avait pas pas été partie intégrante de la vie quotidienne des habitants de la Mésopotamie.

D’autres preuves sont parvenues jusqu’à nous de la place que tenait l’homosexualité dans la vie des Mésopotamiens. Le roi Hammourabi lui-même est connu pour avoir eu des amants. Zimri-Lin, roi de Mari dans l’ouest de la Mésopotamie, en eut aussi un certain nombre, sa femme parle d’eux dans une lettre (8). Un texte astrologique assyrien en vers qui traite de l’effet des étoiles sur la virilité et l’amour indique que la région de la Balance est de bon augure pour un homme qui veut se faire aimer d’une femme, celle des Poissons, pour une femme qui veut se faire aimer d’un homme et celle du Scorpion pour un homme qui veut se faire aimer d’un homme (9). Un almanach d’incantations de la période babylonienne contient des prières à dire par un homme qui veut être aimé d’une femme, par une femme qui veut être aimée d’un homme ainsi que des prières à dire par un homme voulant être aimé d’un autre homme. D’autres tablettes religieuses ont été trouvées qui contiennent des passages sur les relations homosexuelles ; « si, disent-elles par exemple, un homme a des relations sexuelles avec son compagnon… » (10). Le contexte dans lequel mention est faite du lesbianisme dans des textes de ce genre suggère qu’il était aussi banal (11). Les références à l’amour homosexuel, à côté et dans le même contexte que les références à l’amour hétérosexuel, montrent que l’acceptation des relations entre personnes de même sexe doit avoir été ancrée dans la vie quotidienne des Mésopotamiens et que, pour eux, l’amour sexuel d’un homme pour un homme était considéré comme une alternative légitime à l’amour entre les hommes et les femmes.

Un texte religieux babylonien de divination renferme des prédictions basées sur des actes sexuels, dont certains sont des actes homosexuels. Suivant l’une d’elles, « si un homme pénètre par derrière son égal, cet homme sera le premier d’entre ses frères et collègues ». Suivant une autre, « si un homme a des rapports sexuels avec un prostitué sacré. il n’aura plus d’ennuis ». Suivant une troisième, « si un homme a des rapports sexuels avec un courtisan, l’inquiétude qui le rongeait disparaîtra pendant toute l’année suivante ». D’autres sont cependant critiques à l’égard des comportements homosexuels : « si un homme désire exprimer sa virilité en prison et que, comme un prostitué sacré, il désire donc avoir des rapports sexuels avec des hommes, il se comporte mal » ; ou bien : « si un homme a des rapports sexuels avec un esclave, il aura des soucis » (12) ; il peut s’agir ici d’une mise en garde contre l’homosexualité passive parmi les citoyens ordinaires. Bien que l’homosexualité en elle-même ne soit pas considérée comme négative, il semble que le contexte dans lequel elle était pratiquée et le statut social des partenaires étaient des sujets de préoccupation pour les Babyloniens.

L’homosexualité et les pratiques religieuses

Les prostitués sacrés mentionnés dans ce texte rappellent étrangement par leur rôle spécialisé les prêtres travestis que rencontrèrent les conquistadors en Mésoamérique plus de trois mille ans plus tard. Dès les débuts de la civilisation sumérienne, une grande partie du personnel des temples et des palais était formée d’individus qui, comme le deux-esprit des Indiens d’Amérique, étaient considérés comme n’étant ni homme ni femme, en somme comme un troisième sexe. Les registres d’un temple sumérien du milieu du troisième millénaire avant notre ère mentionnent des prêtres de gala (akkadien : kalû), qui ont été créés, selon un texte babylonien, par le dieu Enki pour chanter des « lamentations apaisantes » à la gloire de la déesse Inanna. Leurs inclinations homosexuelles ressortent clairement de ce proverbe sumérien : « quand le gala se lave le derrière, il dit : « je ne dois pas stimuler ce qui appartient à ma maîtresse (Inanna). » En fait, le mot de gala (13a) s’écrivait avec les signes du « pénis » (giš3) et de l’« anus » (dur), référence explicite à l’homosexualité de ces prêtres masculins.

Une figure similaire apparaît dans la mythologie sumérienne et les textes liturgiques sumériens à partir de 2000 avant notre ère, celle du kurgarru (13b), qui se retrouve dans les textes akkadiens sous le nom de kurgarru. Dans les textes babyloniens et assyriens, le kurgarru est généralement associé avec une autre figure qui lui est étroitement apparentée, l’assinu (13c). Le caractère sexuel de l’assinu apparaît clairement dans le fait que le nom assinu a la même racine que le verbe assinutu, « pratiquer la sodomie » (14). Les gala sont également mentionnés dans les textes décrivant le rituel babylonien et assyrien, dans lequel ils semblent avoir une part encore plus importante que dans le rituel sumérien. Ces différents prêtres homosexuels jouèrent un rôle central dans le culte de la déesse mésopotamienne jusqu’à l’époque romaine.

Le culte mésopotamien de la déesse trouve son origine dans des cultes du néolithique, qui sont eux-mêmes issus de cultes du paléolithique. Les plus anciennes représentations connues d’une divinité sont des figurines et des sculptures d’une déesse féminine qui ont été trouvées sur des sites épars dans la masse continentale eurasienne, de l’Europe occidentale à la Sibérie et dont certains remontent à 25 000 avant notre ère (15). Des preuves de la vénération de la déesse dans les premières colonies de peuplement agricoles du néolithique ont été trouvées en Anatolie et au Moyen-Orient (16). Des excavations sous la direction du célèbre archéologue James Mellaart à Çatal Hüyük en Turquie, site d’une colonie datant de 7500 avant notre ère, ont établi la continuité du culte de la déesse mère de la période sumérienne jusqu’au paléolithique supérieur (17). Une fois qu’ils se furent lancés dans l’agriculture et dans l’élevage, l’abondance de leurs récoltes et la fécondité de leurs animaux revêtirent une importance primordiale pour les peuples du néolithique et devinrent donc l’objet de rituels religieux. Dans les villages agricoles du néolithique, la déesse, symbole de la puissance générative de la nature, se trouvait généralement associée à l’image d’un taureau, qui représentait le dieu de la lune et dont on croyait que son pouvoir fertilisant assurait la fécondité des troupeaux et l’abondance des récoltes. L’imagerie de la vache-mère fécondée par le dieu-taureau reflétait l’importance qu’avaient leurs troupeaux pour leur subsistance. De nombreuses statuettes de la déesse accompagnées d’images du taureau ont été mises au jour dans des vestiges de villages de la région datant de 6500 avant notre ère (18).

Avec les invasions du Moyen-Orient par des guerriers féroces à l’âge du bronze – de Sumer par les sémites d’Akkad, sous Sargon le Grand, de l’Anatolie et de la Perse par les Indo-européens, de Babylone par les Amorrites d’Hammourabi et de Canaan par les Hébreux -, le culte de la déesse mère fut relégué au second plan par les divinités patriarcales masculines que les envahisseurs apportèrent avec eux (19). Néanmoins, la déesse mère, dans ses diverses formes, demeura, ainsi que les cultes de fertilité et les prêtres homosexuels qui y étaient associés, un élément important du culte dans le monde antique, de la Méditerranée à l’Inde, jusqu’au début de la période chrétienne. Dénommée Inanna, ou Reine du Ciel, par les Sumériens, la déesse était appelée Ishtar par les Akkadiens et les Babyloniens. En Égypte, où la déesse était adorée sous le nom d’Isis, la tenue de cérémonie du pharaon était ornée d’une queue de taureau, qui symbolisait sa fonction d’époux de la déesse. Le temple de la déesse phénicienne Astarté était desservi par des prêtres homosexuels appelés kelev, le culte de la déesse anatolienne Cybèle était assuré par des prêtres homosexuels appelés galli. Peu de gens savent que le culte de la déesse était aussi une caractéristique de la religion des premiers Israélites et que, en fait, un des temples de Jérusalem abrita des homosexuels, les kadesh, jusqu’au septième siècle avant notre ère.

Dans certaines régions de l’Inde, la déesse, connue sous le nom de Shakti, est encore vénérée par des travestis appelés hijra et ses temples abritaient des prostitués sacrés des deux sexes masculin jusqu’au XXe siècle (20).

Un élément essentiel du culte mésopotamien de la déesse était la cérémonie du mariage sacré, qui était célébrée le jour du nouvel an et au cours de laquelle l’union sexuelle du taureau lune et de la déesse était représentée respectivement par le roi et un préposé au temple. L’accouplement qui avait lieu pendant ce rituel était jugé nécessaire à de bonnes récoltes et à la fécondité du bétail. Le genre de magie sympathique employée dans ce rituel sexuel est propre aux rituels des cultures tribales primitives et est révélateur de l’antiquité de la religion mésopotamienne. On estime qu’un rituel similaire était pratiqué annuellement dans la cité sumérienne d’Uruk entre un préposé au temple, qui tenait le rôle d’Inanna et le roi, qui incarnait Dumuzi, le dieu de la lune sumérien. De nombreuses chansons sensuelles célébrant l’amour entre Inanna et Dumuzi et des illustrations du rituel ont été trouvées sur des sceaux cylindriques de la même période. Un sceau cylindrique de la ville sumérienne d’Elam du début du deuxième millénaire avant notre ère représente Inanna et Dumuzi comme un couple nu sur un lit. La charge sexuelle du culte de la déesse mésopotamienne est explicitement indiquée par un hymne babylonien du début du deuxième millénaire avant notre ère qui décrit Ishtar comme une prostituée sacrée que 120 hommes ne peuvent pas satisfaire. De même, la déesse syrienne Qudshu, associée à l’amour et à la fertilité, est appelée « la prostituée » sur un monument érigé en son honneur en Égypte, où son culte était populaire au deuxième millénaire avant notre ère (21).

Des rituels sexuels du même genre étaient également accomplis tout au long de l’année par des particuliers désireux d’obtenir la protection, ou les faveurs, de la divinité. Une des principales fonctions des servants homosexuels des temples était d’avoir des relations sexuelles avec les adorateurs ordinaires à la place de la déesse. Le sperme que ceux-ci déposaient dans le corps de ceux-là constituait une offrande à la déesse. La somme d’argent qu’ils versaient au temple en échange de ce service allait à son entretien. Cette pratique a été appelée « prostitution sacrée », terme quelque peu trompeur, puisque les rituels correspondant faisaient partie intégrante du culte et ne se résumaient pas à un commerce sexuel. Certains chercheurs doutent que les préposés aux temples se livraient effectivement aux désirs sexuels des fidèles. Cependant, comme nous l’avons déjà fait remarquer – le hiéroglyphe de « gala » combine les signes du pénis et de l’anus et le mot d’« assinu » dérive du verbe « sodomiser » – le nom de certains d’entre eux et les nombreuses références textuelles à la fois aux rapports homosexuels qu’ils avaient dans un cadre rituel et aux faveurs divines, ou à la bonne fortune, qui attendaient les hommes qui avaient des rapports sexuels avec eux, ne laissent subsister aucun doute sur la nature de leur fonction.

Les transsexuels et les personnes du troisième sexe tenaient également une place importante dans les palais. Les fonctionnaires de la cour étaient appelés soit sa’ziqni (« barbus »), ou sa’res (« sans barbe »), terme qui a parfois été traduit par « eunuque » (22a). Il est fort probable que ces hommes n’étaient pas des eunuques à proprement parler, mais des homosexuels passifs. Une classe importante de sa res était les girsequ ; dans les textes sumériens de la fin du troisième millénaire avant notre ère, où ils apparaissent comme des domestiques de palais ou de temples, ils sont souvent présentés comme attachés aux rois, tandis que les traités oniromantiques les mentionnent dans le même contexte que les assinu, c’est-à-dire comme des objets sexuels à l’entière disposition des hommes. Des personnages sans barbe de ce genre sont représentés sur les bas-reliefs assyriens comme des musiciens ou des assistants royaux (22b).

Comme nous l’avons vu plus haut, les rituels sexuels auxquels participaient les prêtres du troisième sexe, ou les prêtres travestis, dans la civilisation mésopotamienne présentent des similitudes remarquables avec ceux qui étaient pratiqués dans les cultures mésoaméricaines avec lesquelles entrèrent en contact les conquistadors. Cieza de Leon décrit avec dégoût les pratiques des prêtres dont il fut témoin au Pérou : « Dans chaque temple ou lieu de culte important, ils ont un homme ou deux, ou davantage, habillés en femmes depuis l’enfance, parlant comme les femmes et les imitant en manières, en vêtements et en tout. Les.hommes, particulièrement les chefs, ont des relations charnelles, impures avec eux les fêtes et les jours saints, comme s’il s’agissait d’un rite ou d’une cérémonie (23). » Les rituels homosexuels du culte de la déesse mésopotamienne ressemblent aussi de façon frappante à un rituel Hopi, au cours duquel le berdache, ou deux-esprit, gratifié du titre de « Vierge du Maïs », est sodomisé par les braves Hopi, afin de garantir une bonne récolte de maïs (24). De même, chez les Sioux Mandan, le deux-esprit était sodomisé par les jeunes braves de la tribu, afin que la tribu trouve des bisons en abondance (25).

Les similitudes remarquables entre les croyances mythiques de la Mésopotamie et celles des peuples autochtones des Amériques ne s’arrêtent pas là. Les Mésopotamiens croyaient que le gala, l’assinu et le kurgarru étaient appelés et littéralement transformés en femmes par la déesse. De même, certaines tribus américaines croyaient que les berdaches répondaient à leur vocation sur l’ordre d’une âme, ou d’une déesse (26). De même que les Indiens d’Amérique croyaient que les berdaches étaient créées par le Grand Esprit pour le bien-être de leurs tribus, ainsi les Sumériens considéraient la prostitution sacrée, à l’instar de la royauté, de la justice et de la vérité, comme une institution de droit divin (27). Beaucoup d’Indiens des plaines croyaient qu’avoir des relations sexuelles avec un berdache avant une bataille portait chance. De même, les Babyloniens croyaient qu’avoir des relations sexuelles avec un assinu, ou un kurgarru, portait bonheur. Comme le berdache, l’assinu était considéré comme ayant des pouvoirs magiques : selon un texte, « si un homme touche la tête d’un assinu, il vaincra son ennemi ». Pour conjurer la menace représentée par une éclipse de lune, le roi touchait rituellement la tête d’un assinu (28). Comme le berdache, l’assinu passait pour avoir le pouvoir de guérir les maladies et de prédire l’avenir. De même que le berdache était le gardien des traditions des danses rituelles et du chant, ainsi le gala, l’assinu et le kurgarru chantaient les hymnes à la déesse, pratiquaient les danses rituelles et exerçaient la fonction de musicien dans les temples. En somme, le berdache et les prêtres travestis de l’ancienne Mésopotamie étaient considérés comme des institutions de droit divin, étaient censés avoir été appelés par une déesse qui avait transformé leur sexualité, étaient les objets sexuels d’autres hommes, auxquels ils portaient chance, étaient censés être doués de pouvoirs magiques et, en cette qualité, faisaient office de guérisseurs et de voyants et étaient les principaux interprètes des danses et des chanson rituelles.

Des preuves d’ordre linguistique et culturel suggèrent que c’est à l’époque préhistorique que les personnes du troisième sexe commencèrent à remplir ces rôles spécialisés. En fait, certains chercheurs pensent que les kurgarru peuvent remonter à 5600 avant notre ère, bien longtemps avant le développement de la civilisation des temples, ce qui indiquerait que les premiers à occuper cette fonction furent probablement les chamans travestis des tribus du néolithique (29), dont les fonctions pourraient avoir été remplies par d’autres figures de ce type dès le paléolithique, période au cours de laquelle on pense que de grandes migrations eurent lieu d’Asie vers l’Amérique.

L’amour entre hommes masculins

Les rôles spécialisés des personnes du troisième sexe ne représentent qu’un aspect de la diversité de la sexualité des peuples de l’ancienne Mésopotamie. Les nombreuses références dans les textes religieux et astrologiques à l’amour entre des membres du même sexe montrent clairement que les expériences homosexuelles faisaient partie de la vie des hommes et des femmes ordinaires ainsi que de celle des assistants travestis des temples et des palais. En effet, l’amour sexuel entre deux héros virils est un thème central de l’épopée de Gilgamesh, œuvre littéraire extraordinaire qui trouve son origine dans les légendes sumériennes et qui connut un grand succès pendant des milliers d’années dans l’ancien Proche-Orient.

Les temps historiques commencèrent avec l’invention de l’écriture, vers 3200 avant notre ère. dans les villes-états sumériennes. L’Épopée de Gilgamesh, la plus ancienne œuvre littéraire connue, écrite vers le milieu du troisième millénaire avant notre ère et tirée d’une légende sumérienne qui existait déjà dans la tradition orale (30), traite en grande partie de l’amour du héros, Gilgamesh, pour un de ses compagnons, Enkidu.

Gilgamesh, roi légendaire de la ville sumérienne d’Uruk, naquit de l’union d’un homme mortel avec une déesse. Par sa mère, une déesse, il était doté non seulement d’une force physique exceptionnelle, mais aussi d’une grande beauté, d’une large poitrine et, disent les textes avec approbation, d’un grand phallus (31). Au début de l’histoire, Gilgamesh est déjà un homme mûr, « supérieur à tous les autres hommes en beauté et en force, porté par les désirs insatisfaits de sa nature semi-divine, face à laquelle personne ne fait le poids dans l’amour ou dans la guerre » (32). Doté d’une extraordinaire vigueur sexuelle, Gilgamesh ne cesse de poursuivre de ses assiduités les fils et les filles de la cité d’Uruk, ce qui ne cesse d’inquiéter ses habitants. Ils prient donc la déesse pour qu’elle protège leurs fils et leurs filles de la concupiscence de Gilgamesh. Le peuple implore la déesse en ces mots : « C’est toi Arourou qui créa cet homme, crée maintenant pour lui un rival, qu’il lui soit par la force du cœur et du corps comparable, qu’ils luttent sans cesse ensemble, ainsi Ourouk gagnera la paix et la tranquillité. » En réponse, la déesse « lave ses mains, prend une poignée d’argile, la lance dans la plaine… »

Elle créa ainsi le vaillant Enkidu. Gilgamesh, fasciné par les récits qu’il avait entendu d’un grand homme sauvage au « corps couvert de poils » qui avait été vu dans la plaine, envoya une prostituée du temple à sa recherche. La courtisane, l’ayant trouvé, lui dit : « je te montrerai Gilgamesh plein de vie, tu le regarderas et examineras son visage éclatant de virilité et de vigueur. Son corps resplendit de charme et de séduction, il est plus vigoureux que toi, ne s’arrête ni le jour, ni la nuit. » Elle ajouta : « Le dieu Shamash (le grand dieu) aime Gilgamesh et le protège. Anou, Enlil et Ea lui ont accordé de larges oreilles, avant même que tu quittes la plaine Gilgamesh à Ourouk te verra dans ses rêves. » (33). Comme prévu, Gilgamesh rêva d’Enkidu avant de le rencontrer. Il raconta son rêve à sa mère : « Je marchais fier parmi les héros, le ciel brillait d’étoiles, et une étoile, comme un héros du ciel d’Anou est tombée vers moi. J’ai voulu la porter, elle était trop lourde. J’ai voulu la pousser, je n’ai pu la bouger. Autour d’elle, les gens du pays s’assemblaient et lui baisaient les pieds. Je l’ai aimée et me suis penché sur elle Comme on se penche sur une femme je l’ai soulevée et déposée à tes pieds et toi tu l’as rendue égale à moi. »

Sa mère, la déesse, interpréta son rêve ainsi : « L’étoile du ciel, ta semblable, celle qui est tombée sur toi comme un héros du ciel d’Anou, celle que tu as voulu porter qui était trop lourde pour toi, celle que tu as voulu pousser que tu n’as pas pu faire bouger, celle que tu as aimée sur laquelle tu t’es penché comme on se penche sur une femme, celle que tu as déposée à mes pieds, celle que j’ai rendue égale à toi, cela représente un compagnon fidèle et plein de force qui te viendra en aide. Il est le plus fort dans le pays et d’une grande vigueur sa force et sa vigueur sont comme celles d’Anou. Que tu l’aies aimé, que tu te sois penché sur lui comme on se penche sur une femme, cela signifie qu’il sera toujours auprès de toi qu’il ne t’abandonnera jamais. »

Gilgamesh rêva ensuite d’une grande hache et raconta son rêve à sa mère : « j’ai vu une hache. Autour d’elle les gens s’assemblaient je l’ai aimée et me suis penché sur elle comme sur une femme, puis je l’ai déposée à tes pieds et tu l’as rendue égale à moi. » Dans une autre traduction de ce passage, par le grand érudit Thorkild Jacobsen, le caractère sexuel de la relation est encore plus explicite : « Je l’ai aimée et j’ai cohabité avec elle, comme si elle était une femme. » (34) La mère de Gilgamesh lui expliqua que ce n’était pas une hache. « La hache que tu as vue est un homme. Que tu l’aies aimée, que tu te sois penché sur elle comme tu te penches sur une femme et que je l’aie rendue égale à toi, cela signifie qu’un compagnon fidèle et plein de force te viendra en aide. Il est le plus fort dans le pays et d’une grande vigueur. »

S’il subsistait encore un doute sur les connotations sexuelles de ces deux rêves, plusieurs jeux de mots dans le récit soulignent la nature sexuelle de la relation qui est prédite à Gilgamesh. Dans le premier rêve, kisru, mot désignant la météorite tombée du ciel vers laquelle Gilgamesh « se pencha comme vers une femme », ressemble au mot kezru, prostitué. De même, assinu, le mot désignant la hache, ressemble au mot d’« assinu », homosexuel employé au service d’un temple (35). Les connotations sexuelles des calembours faits sur les objets mêmes auxquels Gilgamesh fait l’amour en rêve et qui représentent le compagnon qui lui avait été annoncé n’auraient pas échappé aux contemporains. Quand Enkidu arriva à Uruk, les hommes de la ville tombèrent sous son charme : « Les hommes se réjouirent en disant : « Il est maintenant un héros et un rival semblable à notre héros, oui, pour Gilgamesh, pareil à un dieu, il est maintenant un pareil, et un semblable ». » Lorsqu’Enkidu rencontra Gilgamesh, celui-ci était sur le point de s’inviter dans une fête de mariage et d’y déflorer la mariée, mais Enkidu lui barra le passage. « L’un tenant l’autre ils luttent. Tels des taureaux sauvages ils mugissent ils brisent le montant de la porte et le mur tremble. Gilgamesh et Enkidou se tenant l’un l’autre luttent tels deux taureaux sauvages ». Gilgamesh sort vainqueur du combat. Enkidu lui dit : « Tu es homme unique parmi les hommes tu es vraiment le fils de ta mère la déesse Ninsoun, la vache sauvage. Elle t’a mis au monde et le dieu Enlil a élevé ta tête au-dessus des hommes c’est ainsi qu’il t’a destiné à la royauté. » (36). Après quoi « Ils s’embrassent scellant leur amitié ». Ravi de son nouveau compagnon, Gilgamesh commença à se comporter en véritable roi, n’agissant plus que dans l’intérêt de sa ville et de son peuple.

Puisqu’il est inconcevable que la figure centrale d’une légende, ou d’une épopée, ne reflète pas les valeurs et les sentiments de l’auditoire pour laquelle elle a été écrite, il s’ensuit que les rapports homosexuels entre hommes virils étaient connus et même admirés dans les villes-états sumériennes où vit le jour la légende de Gilgamesh et plus tard dans les civilisations akkadienne et babylonienne, où elle fut couchée par écrit. Comme la mythologie reflète généralement d’une manière métaphorique les valeurs d’un peuple, l’histoire de Gilgamesh et d’Enkidu peut être considérée comme représentative de la tendance des peuples sumérien, babylonien et akkadien à donner à une énergie sexuelle excessive (Gilgamesh) une direction (l’amitié de Gilgamesh avec Enkidu) qui favorise le bien-être de la société.

Il ressort de la façon dont la relation est présentée que le peuple espère qu’elle bénéficiera à la société. Dans sa prière à la déesse Arourou, le peuple exprime clairement ce qu’il souhaite : « C’est toi Arourou qui créa cet homme, crée maintenant pour lui un rival, qu’il lui soit par la force du cœur et du corps comparable, qu’ils luttent sans cesse ensemble, ainsi Ourouk gagnera la paix et la tranquillité. » Il convient de noter que, dans les langues de l’ancien Proche-Orient – et aujourd’hui encore dans la langue arabe – une expression couramment utilisée pour désigner l’excitation sexuelle est « soulèvement du cœur ». Donc, en priant pour la naissance de quelqu’un « qui soit par la force du cœur… comparable » à Gilgamesh, les habitants d’Uruk voulaient clairement que Gilgamesh ait un compagnon qui lui soit assorti sexuellement, afin qu’ils puissent « gagner la paix et la tranquillité ». Comme le résume Thorkild Jacobsen, « Arourou entend leurs prières et crée Enkidu, être dont la vigueur sexuelle est aussi grande que celle de Gilgamesh, afin que, tombant amoureux l’un de autre, ils se neutralisent et que les habitants d’Uruk puissent retrouver « la tranquillité » (37a).

Il est également significatif que le peuple ne prie pas pour que Gilgamesh se marie, même si, compte tenu du statut royal de Gilgamesh, il avait probablement déjà une épouse. L’épopée indique clairement que, dans cette culture, les contemporains ne considéraient pas la reproduction comme le seul but de la pulsion sexuelle. Dans une société stable et prospère dont la population augmentait régulièrement, il n’était pas nécessaire de restreindre l’activité sexuelle à la reproduction et il se peut que les Sumériens et les Babyloniens aient jugé souhaitable de détourner des aventures hétérosexuelles les pulsions sexuelles effrénées dont la nature a doté l’homme (37b).

En effet, la grande place que tient dans l’épopée l’amitié amoureuse entre les deux hommes souligne la reconnaissance qu’un des buts premiers du désir sexuel chez les humains n’est pas la satisfaction sexuelle elle-même, ni nécessairement la procréation, mais la camaraderie. En fait, c’est par la perte de ce que Gilgamesh a le plus aimé – son compagnon bien-aimé, Enkidu – que le héros est poussé à partir à la recherche de l’immortalité et du sens de la vie, thème central de l’épopée. Ce thème du caractère transitoire de la vie et de la nature de l’existence est l’une des questions les plus profondes auxquelles est confronté l’homme et qui revient à plusieurs reprises dans les plus grandes œuvres d’art qu’a produite la culture humaine. Que la perte d’un compagnon bien-aimé par ce héros viril serve de base au développement du thème principal de cette épopée est un témoignage éloquent du jugement positif que portaient les Mésopotamiens sur les relations amoureuses entre hommes virils.

Preuve de comportements homosexuels dans l’Égypte ancienne

Vers l’époque où s’épanouit la grande civilisation des villes-états sumériennes, ce qui deviendrait une civilisation encore plus grande commençait à prendre forme en Égypte, encore une fois au milieu d’une vallée fluviale verdoyante et fertile. Mais, protégée des invasions nomades par les vastes déserts qui l’entouraient, la culture indigène égyptienne se développa en une civilisation unique et sophistiquée, qui, dans l’ensemble, resta à l’abri des influences extérieures. Et, ici aussi, les savants ont trouvé des preuves que l’homosexualité était commune et acceptée et que les pratiques homosexuelles n’étaient pas différentes de celles qui étaient répandues dans l’ancienne Asie du Sud-Ouest.

Comme les Égyptiens portaient une attention particulière aux rites funéraires des pharaons et des autres dignitaires et étaient en général obsédés par l’au-delà, notre connaissance de la culture et des coutumes égyptiennes provient pour l’essentiel des tombes qui sont parvenues jusqu’à nous et des divers documents qui ont été retrouvés près des corps momifiés qu’elles contiennent. Par conséquent, les témoignages relatifs à la vie érotique des anciens Égyptiens sont peu nombreux. La rareté des documents relatifs à leur vie sexuelle s’explique sans doute aussi par leur pudeur.

Bien que la plupart des égyptologues et des historiens affirment que l’homosexualité était inconnue des anciens Égyptiens et que, en fait, ils la désapprouvaient, il subsiste assez de preuves pour montrer non seulement que l’homosexualité était un phénomène bien connu des Égyptiens, mais qu’elle semble avoir été une réalité de la vie de tous les jours. Une inscription hiéroglyphique dans une tombe du troisième millénaire avant notre ère raconte que le roi Pepi II Neferkare rendait visite tous les soirs à un de ses généraux, Sisine, un haut fonctionnaire célibataire, pour passer du bon temps (38). De nombreux dessins érotiques montrent de tendres étreintes entre des pharaons et de jeunes hommes. Un dessin de la XIIe dynastie gravé sur un pilier du temple d’Amon à Karnak représente le pharaon Senusret I embrassant tendrement son ami Phtah (39). Une gravure sur une stèle montre Akhnaten caressant son gendre, Smenkhare. Les deux hommes sont nus, chose très rare dans l’iconographie royale égyptienne. Smenkhare reçut des titres affectueux qui avaient été donnés précédemment aux concubines d’Akhnaten. Un tombeau égyptien du troisième millénaire avant notre ère s’est avéré avoir été construit pour deux courtisans, dont l’un était apparemment coiffeur à la cour. Les deux hommes sont représentés sur des bas-reliefs du tombeau dans des poses suggestives (40).

Les anciens Égyptiens croyaient qu’il était de bon augure d’avoir des relations homosexuelles avec un dieu. Un cercueil porte ces mots : « J’avalerai le phallus de Re ». Sur un autre cercueil on lit, en référence au dieu Geb : « son phallus est entre les fesses de son fils et de son héritier. » Des instructions du vizir Ptahotep (environ 2600 avant notre ère) déconseillent de sodomiser un jeune garçon contre son gré, ce qui indique 1) que les rapports anaux entre les hommes étaient si communs que le besoin se fit sentir de lutter contre les abus et 2) qu’il n’y avait rien de mal à pratiquer la sodomie sur un jeune garçon, s’il était consentant.

Un épisode de la mythologie égyptienne dans lequel deux divinités, Horus et Seth, ont des rapports anaux est une preuve supplémentaire que les Égyptiens étaient au fait de l’homosexualité (41). Comme rapporté dans un papyrus du Moyen-Empire datant du troisième millénaire avant notre ère et cité par Vern Bullough, « Alors la majesté de Seth dit à la majesté d’Horus : « Que ton arrière-train est beau ! … Alors la majesté d’Horus a dit à sa mère Isis ; « Seth pour me connaître [charnellement]. » Alors elle lui dit, « Prends garde, ne lui donne pas ton accord pour cela quand il t’en aura parlé une fois de plus. Tu auras à lui dire. C’est beaucoup trop pénible pour moi parce que tu es plus trop lourd que moi. Ma force ne saurait supporter ta force, tu lui diras. Quand il t’aura présenté sa force, tu auras à placer les doigts entre tes fesses… Vois, il trouvera cela extrêmement agréable […] la semence issue de son phallus sans laisser Rê voir cela ». » (42) Horus, suivant les conseils de sa mère, Isis, recueillit dans la paume de sa main le sperme éjaculé par Seth et, alors que Seth avait le regard ailleurs, le jeta dans une rivière. Quand Horus raconta à Isis ce qui s’était passé, celle-ci lui demanda d’émettre lui-même du sperme et de le lui donner. Elle prit le sperme d’Horus, le répandit sur une laitue, qu’elle offrit à Seth qui la mangea. Lorsque Seth se vanta auprès d’autres dieux d’avoir dominé Horus sexuellement, Horus nia tout. Pour régler leur dispute, les dieux convoquèrent la semence d’Horus et celle de Seth. La semence de Seth répondit aux dieux du fond du ruisseau où Horus l’avait jetée, tandis que la semence d’Horus sortit du front de Seth sous la forme d’un disque d’or. Les dieux ajoutèrent donc foi à la version qu’Horus leur avait donné de l’incident. Alors l’un des dieux, Thoth, ôta le disque d’or de la tête de Seth et le plaça sur sa propre tête. C’est à partir de ce moment que, dans la mythologie égyptienne, Thoth fut considéré comme le dieu de la lune. L’accession de Thoth au statut de dieu de la lune à la suite de l’union entre Seth et Horus est mentionnée dans d’autres sources où Thoth est appelé « fils des deux seigneurs » (43).

Bien que nous ne disposions pas d’assez d’informations sur l’Égypte ancienne pour comprendre le rôle que l’homosexualité jouait dans la culture égyptienne, il est certain que les pratiques homosexuelles y étaient acceptées. Le fait que les documents qui y font référence le fassent sur un ton banal montrent qu’elles devaient y être courantes.

Les anciens Israélites

L’homosexualité est également attestée dans les Écriture hébraïques, qui contiennent de nombreuses références à l’homosexualité à la fois chez le peuple juif et chez leurs voisins. Beaucoup seront probablement surpris de constater qu’il y a de fortes indications que les pratiques homosexuelles faisaient partie intégrante de la vie des premiers Israélites aussi. En fait, les témoignages de la Bible montrent que les attitudes et les habitudes sexuelles des Israélites n’étaient guère différentes de celles des autres peuples de l’ancien Proche-Orient. Un certain nombre de passages bibliques parlent de la participation régulière des premiers Israélites à des pratiques cultuelles homosexuelles qui ont été documentées chez leurs voisins (44).

De plus, nous savons que les premiers Israélites ne formulèrent absolument aucune interdiction contre l’homosexualité (45). Selon l’érudit biblique Louis M. Epstein, « la sodomie n’est pas interdite dans les parties des Écritures datant de l’époque pré-exilique. » Epstein ajoute : « La sexualité est singulièrement absente de la prédication chez les Hébreux de la période pré-exilique. » (46) Il est donc peu probable que les premiers Israélites aient été moins tolérants à l’égard des pratiques homosexuelles que les Égyptiens, ou que les peuples de la Mésopotamie, d’où Abraham aurait émigré et où les pratiques homosexuelles étaient courantes (47). L’hostilité des Écritures envers l’homosexualité ne date que de l’époque postérieure au retour de l’exil babylonien, vers la fin du VIe siècle avant notre ère.

Le culte de la déesse mère et les rituels homosexuels chez les premiers Israélites

Les premiers Israélites appartenaient à une culture guerrière sémitique semblable à celle des tribus de guerriers sémitiques qui conquirent Sumer et fondèrent les empires akkadien et babylonien. Originaires des régions arides et désertiques du sud, les tribus hébreues, conduites par une caste de prêtres-guerriers, envahirent Canaan au deuxième millénaire avant notre ère et fomentèrent ensuite une série de guerres de conquête pour vaincre la résistance des indigènes cananéens (48). La violence avec laquelle les envahisseurs israélites soumirent les peuples indigènes de Canaan est largement attestée par de nombreux passages de la Bible qui décrivent les massacres des populations qui résistèrent aux Israélites (49). Comme les autres envahisseurs guerriers de l’âge du bronze, les Hébreux apportèrent avec eux un dieu de la guerre féroce et jaloux et cherchèrent pendant plusieurs siècles à imposer leur religion et leur idéologie patriarcale aux cananéens, qui vénéraient une déesse (50). Cependant, de même que les tribus indo-européennes qui envahirent le Moyen-Orient et la mer Égée imposèrent leurs divinités masculines aux peuples conquis, tout en assimilant un certain nombre de rituels de leur culte, les tribus hébraïques absorbèrent les cultes et les rituels cananéens autochtones dans leur culte, tout en continuant à adorer Yahweh. En conséquence, les pratiques cultuelles des Hébreux de la période qui suivit la conquête et la colonisation de Canaan furent particulièrement polythéistes ; le culte de la divinité tribale des Israélites, Yahweh, s’y mêlait avec les rituels orgastiques associés au culte d’Asherah, la déesse mère cananéenne et de Baal, son fils et compagnon (51a).

Comme la déesse sumérienne Inanna et son époux Dumuzi, les deux divinités cananéennes contrôlaient la fécondité du bétail et l’arrivée des pluies, essentielles à de bonnes récoltes. La représentation animale de Baal était le taureau, symbole du rôle fécondant qu’il avait avec la déesse. Comme nous l’avons vu plus haut, l’association du taureau avec la déesse dans le cadre des rituels de fertilité était répandue dans la région et on estime qu’elle remonte à 6500 avant notre ère. Le taureau était également un symbole de l’ancien dieu des Hébreux (51b). Certains érudits bibliques pensent que le dieu originel des Israélites était Baal et que le culte de Yahweh fut en grande partie un prolongement du culte de Baal et qu’il se développa en réaction au culte de la déesse, qui prévalait dans la région (51c). La première description de Yahweh comme dieu guerrier tout-puissant reprend quasiment à l’identique la description que fait un texte cananéen de Baal comme dieu de la tempête (52). En raison de la présence du culte de la déesse dans tout l’ancien Moyen-Orient, il est fort probable que les Israélites de la période qui précéda leur arrivée à Canaan aient entendu parler des rituels de fertilité dont étaient l’objet la déesse et son époux dans cette région.

Dans la période précédant l’arrivée des Israélites à Canaan, Yahweh était connu des Israélites principalement comme un dieu guerrier tout puissant. Yahweh avait vaincu le Pharaon, avait séparé les eaux de la mer Rouge et avait guidé les Israélites dans le désert du Sinaï. Yahweh avait abattu les murs de Jéricho, permettant ainsi aux Israélites d’entrer à Canaan. Il avait détruit les armées des Philistins et des Cananéens. Les israélites voyaient donc en Yahweh un puissant et redoutable protecteur, qui frappaient leurs ennemis et infligeaient une terrible punition à ceux qui l’offensaient. Cependant, Yahweh n’était pas considéré comme un dieu qui intervenait dans les activités de la vie quotidienne comme l’agriculture et l’élevage (53). Comme les tribus conquérantes hébreu adoptèrent un mode de vie d’agriculteurs et d’éleveurs dès leur établissement à Canaan, il serait naturel qu’elles aient aussi adopté les rituels de fertilité et de fécondité que pratiquaient les Cananéens. Comme ils ne croyaient pas que l’abondance de leurs récoltes et la fécondité de leur bétail dépendaient de Yahweh, il semblerait logique que les Israélites nouvellement établis se soient appuyés sur Yahweh pour les protéger en temps de crise nationale et se soient tournés vers la déesse et le pouvoir fécondant de son époux divin pour qu’ils veillent sur leurs récoltes et leurs troupeaux. Il est indéniable que les premiers Israélites embrassèrent les rituels de fertilité associés au culte de la déesse après leur arrivée à Canaan. De nombreuses références dans les Écritures hébraïque montrent que la participation des Israélites au culte de Baal et Ashera, avec ses rituels homosexuels et ses prostitués sacrés, était étendue et continuelle. En fait, le culte de Baal et Ashera persista parmi les Israélites pendant plus de sept siècles, de la période qui succéda à la conquête et à l’établissement à Canaan, que la plupart des érudits bibliques place vers 1400 avant notre ère, à l’époque de la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor et de la déportation des Israélites à Babylone au VIe siècle avant notre ère. La participation des Israélites aux rituels du culte de Baal et de la déesse est mentionnée dans les Écritures hébraïques dès la période des Juges, qui succéda immédiatement à l’invasion de Canaan par les Israélites (54). Les passages des Écritures contiennent aussi un certain nombre de références à la présence dans les lieux de culte de Asherim, images ou symboles d’Ashera, en même temps que de « piliers sacrés », ou « poteaux d’Ashera », que les érudits considèrent comme des symboles phalliques, liés aux rites de fertilité qui étaient un éléments du culte de la déesse dans la région (55). Les Écritures décrivent fréquemment le culte Baal en parallèle avec les rituels en l’honneur d’Ashera, ce qui n’est pas surprenant, étant donné l’interdépendance des deux divinités dans la protection des cultures et du bétail (56).

L’enracinement du culte de Baal et de la déesse dans la vie des premiers Israélites après leur établissement à Canaan se reflète dans la toponymie (57) et l’étendue de la participation des Israélites aux rituels du culte de Baal et Ashera est indiquée par le nombre des prêtres qui assuraient leur culte. Selon 1 Rois, 18, sous le règne du roi Achab, au IXe siècle avant notre ère, il y avait 450 prêtres de Baal et 450 prêtres d’Ashera chez les Israélites, nombre élevé qui implique qu’une grande parte de la population pourvoyait à leur entretien (58). Selon une étude récente, il apparaît que l’Arche de l’Alliance, symbole le plus important de la religion hébraïque, ne renfermait pas à l’origine les Dix Commandements, mais une statue en bronze d’un serpent, symbole associé à la déesse dans tout l’ancien Moyen-Orient (59). Cette statue, selon 2 Rois, 18, était adorée dans le Temple à Jérusalem aux côtés d’une image d’Ashera et y resta jusqu’à l’époque du roi Ézéchias, au début du VIIe siècle avant notre ère (60).

Il existe également d’importantes preuves archéologiques du culte de la déesse chez les anciens Israélites. Lors de fouilles à Tell Beit Mirsim, près du Hébron moderne, les artefacts religieux les plus nombreux qui furent mis à jour à partir des couches datant de la période précédant l’invasion de Canaan furent des figurines en céramique d’Ashera. Elles étaient cependant très nombreuses aussi dans les couches datant des époques ultérieures, c’est-à-dire des siècles qui suivirent les invasions et au cours desquels la ville fut reconstruite par les Israélites. Selon l’archéologue Raphaël Patai, « Les preuves archéologiques ne laissent aucun doute sur le fait que ces figurines étaient très populaires parmi les Hébreux ». De l’examen des données à la fois archéologiques et scripturales le rabbin Patai a conclu que, jusqu’à « la fin de la monarchie hébraïque [c’est à dire l’époque de l’invasion babylonienne], le culte des anciens dieux cananéens était partie intégrante de la religion des Hébreux » (61).

Comme dans la Mésopotamie voisine, les rituels du culte de la déesse et de son époux impliquaient la pratique de la magie sympathique, jugée nécessaire pour favoriser la fécondité du bétail et la fertilité des cultures, mais ils étaient aussi de nature orgiastique. La copulation avec des prostitués sacrés des deux sexes, substituts de la déesse, avait pour but de féconder la déesse et d’assurer ainsi la santé et la croissance des troupeaux, ou de provoquer d’autres événements favorables. Les Écritures hébraïques comptent huit références aux Kadesh (62), les prostitués du temple et aux kadeshem, leurs homologues féminines et, comme nous l’avons vu plus haut, à Jérusalem, les kadesh logeaient dans un bâtiment spécial, qui ne fut rasé qu’à la fin du septième siècle avant notre ère, sous le règne du roi Josiah (640-609 avant notre ère) (63). Un rituel consistant à se masturber devant l’idole de Baal était pratiqué pour exciter sexuellement le dieu et l’inciter ainsi à faire tomber la pluie, qui rendrait la Terre Mère fertile. Il existait également des rituels d »initiation de jeunes hommes à « l’exaltation sexuelle et religieuse de l’orgasme » dans le temple et des cérémonies au cours desquelles les prêtres avaient des contacts oraux et génitaux avec les fidèles. Ces cérémonies ont survécu jusqu’à notre époque dans certains rituels de circoncision orthodoxe qui comprennent une fellation rituelle du pénis (64).

La majorité des adeptes du culte de Baal et Ashera semblent avoir été des femmes. En plus de contribuer à la fertilité des champs et à la fécondité du bétail, la déesse était la patronne des accouchements. En tant que telle, elle était une source de réconfort pour les femmes enceintes confrontées aux épreuves de l’accouchement, processus au cours duquel elles pouvaient perdre la vie. Dans Jérémie 44, quand le prophète prêche devant une foule d’hommes et leurs épouses, en prédisant la destruction qui attend ceux qui adorent « la Reine des Cieux », référence à la déesse, les Écritures affirment que son message s’adressait « particulièrement à toutes les femmes » (65). Parmi les femmes adeptes de Baal et Ashera il y avait sans doute des ouvrières agricoles des exploitations rurales, mais il y avait également certaines femmes de haut rang. Maacah, la mère du roi de Judée Asa, est dénoncée dans 1 Rois, 15:13 pour avoir érigé un asherim pour Asherah.

Contrairement à l’hypothèse répandue selon laquelle les Israélites abandonnèrent à plusieurs reprises Yahweh pour le culte d’Ashera et Baal, impression favorisée par des déclarations dans les Écritures, il est évident que le culte de la déesse et de son époux et le culte de Yahweh coexistèrent pendant de nombreux siècles. Le coexistence du culte de la déesse et de son époux et des rituels en l’honneur de Yahweh est bien illustrée par le culte susmentionné du serpent de bronze dans le Temple et par l’hébergement également susmentionné de prostitués dans un des bâtiments attenant au Temple de Jérusalem.

Si la déesse et son époux furent vénérés parallèlement à l’accomplissement des rituels du culte de Yahweh pendant une grande partie de l’histoire ancienne des Israélites, cela ne veut pas dire que l’harmonie régnait entre les deux cultes concurrents. L’opposition farouche des prêtres de Yahweh au culte d’Ashera et Baal est manifeste dans les Écritures (66). La principale force d’opposition au culte de la déesse était le sacerdoce aaronique du royaume méridional de Juda, qui contrôlait le culte du Temple de Jérusalem, et les Shiloh, ou Mushites, clan sacerdotal du royaume septentrional d’Israël, qui étaient les grands rivaux des prêtres d’Aaron. En dépit de la rivalité acharnée qu’ils entretenaient, ils avaient depuis longtemps le même mépris pour les rituels de la déesse et de son époux et considéraient la participation de la majorité des Israélites à ces rituels comme une menace permanente pour leur prestige et leur autorité.

L’animosité historique de la prêtrise contre le culte de la déesse des Cananéens trouvait son origine dans les efforts que faisait depuis longtemps le pouvoir sacerdotal hébraïque pour imposer son dieu tribal, Yahweh, et son idéologie patriarcale aux impénitents adorateurs de la déesse qu’étaient les Cananéens (67). La colère de la prêtrise fut certainement été attisée par l’adoption des rituels du culte de Baal et Ashera par une grande partie de la population israélite, à laquelle s’assimilait la population cananéenne. L’historien Christopher Witcombe a fait remarquer que, à la lumière du combat mené pour faire de Yahweh le seul dieu des Israélites, « une grande partie de l’Ancien Testament peut être lue comme un tract de propagande Yahwiste » contre les cultes indigènes de Baal et Ashera. Comme l’observe Witcombe, « la tactique adoptée par les Yahwistes dans leurs efforts pour vaincre Baal consista à diaboliser le culte et à représenter Baal comme un dieu maléfique, un démon hostile à l’humanité » (68a). De là l’assimilation des symboles animaux de Baal et Asherah, le taureau et le serpent, à l’imagerie de Satan – les cornes et les sabots du taureau devinrent des marques distinctives de Satan -, tandis que le diable prit la forme d’un serpent pour amener par la ruse Ève à manger le fruit défendu (68b).

Il est à noter que les passages condamnant, ou dénigrant, les rites de Baal et Ashera dans les Écritures hébraïques se trouvent presque exclusivement dans les livres qui ont été écrits, compilés, édités et amendés par le sacerdoce aaronite dans la période qui suivit le retour de l’exil babylonien à la fin du VIe, ou au début du Ve siècle, avant notre ère. Ces livres sont l’Exode, les Nombres, le Deutéronome, Josué, Juges, 1 et 2 Samuel et 1 et 2 Rois, qui sont tous constitués de textes écrits ou compilés d’après des textes antérieurs par des membres du clergé aaronite, ou des prêtres de Shiloh. Selon l’hypothèse documentaire (69), ils furent compilés et édités dans leur forme définitive par un prêtre aaronite, ou un groupe de prêtres aaronites, dans la période qui suivit le retour de l’exil. Certains érudits bibliques pensent que leur rédacteur fut Esdras (70), prêtre d’Aaron et chef religieux des Israélites après leur retour de Babylone. Cette hypothèse serait conforme à la tradition rabbinique, qui affirme qu’Ezra rédigea les textes qui devinrent la Torah en 440 avant notre ère. Peu après que la Torah et les livres historiques eurent été rassemblés en un seul ouvrage, les Livres des Chroniques, qui contiennent également des références négatives à Baal et Ashera, furent ajoutés aux kitveï kodesh par un scribe aaronite. La plupart des érudits pensent qu’ils ont été écrits par Jérémie lui-même, un prêtre Shiloh.

Rares sont les références faites à Baal et Ashera dans les livres qui ne furent pas écrits par des prêtres. Cinq mentions négatives de Baal sont faites dans le Livre d’Osée, qui contient les écrits du petit prophète Osée, contemporain d’Isaïe et d’Amos. Le grand prophète Isaïe qui n’était pas membre du sacerdoce s’insurge contre les péchés d’Israël, mais ne mentionne qu’à trois reprises les poteaux d’Ashera (71) et ne fait pas allusion à Baal. Il est intéressant de noter qu’Amos qui, comme son contemporain Isaïe, n’était pas membre du sacerdoce, mais était un fermier et un éleveur d’origine humble, ne fait aucune référence au culte de Baal ou d’Ashera. Amos souligne la compassion et la justice sociale, notions qui ne sont guère abordées dans les livres écrits par les membres du sacerdoce. Les écrits de ces derniers mettent l’accent essentiellement sur l’obéissance à Yahweh et à la Loi telle qu’interprétée par la prêtrise et les conséquences négatives auxquelles s’exposent ceux qui s’écartent de la Loi.

Étant donné qu’une grande partie de la population israélite participait depuis de nombreux siècles aux rituels du culte de Baal et Ashera et qu’elle le faisait sous l’autorité des rois d’Israël et de Juda, qui y participaient eux-mêmes, il est difficile d’accepter l’affirmation selon laquelle les anciens Israélites en tant que nation s’identifiaient uniquement avec le culte de Yahweh et retombèrent plusieurs fois dans l’idolâtrie à cause de leur faiblesse morale, comme une femme infidèle commet l’adultère, thème récurrent dans les livres des Écritures rédigés par le sacerdoce. Au contraire, il est clair que les pratiques religieuses des Israélites furent ouvertement polythéistes pendant une longue période de leur histoire ancienne, les rituels destinés à obtenir la protection de Yahweh contre les ennemis des Israélites alternant avec des rituels de fécondité et des rituels homosexuels en l’honneur de Baal et Ashera.

La rivalité bien documentée entre le sacerdoce d’Aaron et celui de Shiloh démontre aussi que la piété religieuse et la dévotion à Yahweh n’étaient pas leur seul souci et qu’ils cherchaient consciemment à éliminer leurs rivaux pour s’assurer une autorité souveraine sur les Israélites, que les concurrents aient été des prêtres de Yahweh ou d’un autre dieu. Dans ce contexte, il semble probable que le sacerdoce ait présenté le culte de Baal et Ashera sous un jour négatif pour mieux faire ressortir la vertu qu’il prétendait incarner en détournant les Israélites du paganisme et en leur évitant ainsi d’être châtiés par Yahweh.

Il convient de noter également le fait que, dans la plupart des passages qui condamnent le culte de Baal et Ashera, ce sont les femmes qui sont accusées de détourner les Hébreux de Yahweh (72). Comme on l’a vu dans 1 Rois 11: 4, « à l’époque de la vieillesse de Salomon, ses femmes inclinèrent son cœur vers d’autres dieux; et son cœur ne fut point tout entier à l’Éternel, son Dieu, comme l’avait été le cœur de David, son père 11-4 » (73). Le roi « éleva un autel à Baal dans la maison de Baal qu’il bâtit à Samarie » (74a) « et il fit une idole d’Astarté » (Ashera) (74b). En raison du soutien marqué qu’elle apportait au culte de Baal et Ashera et de son opposition aux prêtres de Yahweh, Jézabel fut vouée aux gémonies par les auteurs sacerdotaux. En fait, son nom devint synonyme de « femme méchante ou sans vergogne » (75), ou de « femme mauvaise et manipulatrice » (76). Comme les femmes jouaient un rôle important dans le culte de la déesse chez les Israélites, elles en vinrent à être regardées par les prêtres de Yahweh comme des êtres faibles, enclins à commettre le péché et à détourner les hommes du droit chemin.

La campagne continuelle que menait le sacerdoce pour purger le culte hébreu des rituels de Baal et Ashera peut aussi avoir été stimulée par le nationalisme. Plusieurs historiens ont soutenu que l’hostilité du pouvoir hébraïque envers ces cultes fut moins une croisade morale qu’un rejet nationaliste de la religion cananéenne autochtone en faveur d’un dieu national strictement hébraïque (77). L’historien David F. Greenberg a observé que les mesures énergiques d’éradication du culte de la déesse sous les monarques de Judée furent prises à des époques où ceux-ci affirmaient le nationalisme juif (78).

Il est important de noter que, dans les nombreux passages contenant des références négatives à Baal et Ashera, les prêtres ne considèrent pas ceux des rituels auxquels participaient les kadesh comme des outrages aux mœurs. Les prêtres indiquent leur désapprobation de ces rituels par le terme hébreu de « to-ebah » (« idolâtrie ») (79). De même, lorsque les kadesh, terme improprement rendu par « sodomites » dans certains traductions bibliques modernes, furent finalement bannis du temple, ce fut, comme l’écrit Epstein, « moins pour des raisons morales qu’à cause de l’idolâtrie de leur culte » (80). Compte tenu de l’absence totale de condamnation de l’homosexualité dans les textes pré-exiliques et de la participation massive des Israélites aux rituels du culte d’Asherah et Baal, qui comprenaient un grand nombre de pratiques homosexuelles, l’idée, partagée par presque tous les érudits bibliques, selon laquelle les premiers Israélites condamnèrent toujours et uniformément l’homosexualité est donc totalement infondée.

Le péché de Sodome

Une des histoires les plus anciennes et l’une des plus connues de la Bible est le récit de la destruction par le feu de Sodome et de Gomorrhe. Les chrétiens ont cru pendant de nombreux siècles que Dieu avait infligé une punition au peuple de Sodome et à celui de sa ville jumelle, Gomorrhe, parce qu’ils pratiquaient l’homosexualité, qui, selon d’Aquin, est l’un des péchés les plus graves, si grave que le nom de la première ville sert à désigner cette pratique depuis l’époque médiévale. Cependant, l’association des pratiques homosexuelles avec le péché de Sodome est un des nombreux mythes qui se sont développés autour du sexe et de l’homosexualité depuis l’époque du christianisme primitif. Si, comme l’ont noté les érudits bibliques, il n’y a absolument aucune prédication au sujet de la morale sexuelle et aucune interdiction de l’homosexualité dans les écrits pré-exiliques de l’Ancien Testament, l’homosexualité ne pouvait pas être le péché qui causa la destruction des deux villes. Dans la Genèse, le séjour de Lot à Sodome et la destruction subséquente de cette ville auraient eu lieu pendant la vie d’Abraham, qui, selon les calculs de la chronologie biblique, aurait vécu environ 1500 ans avant la conquête d’Israël par Babylone et l’exil qui s’en suivit des Hébreux. L’opinion commune selon laquelle le péché qui causa la destruction de Sodome et Gomorrhe fut l’homosexualité est donc une idée fausse en contradiction avec les données de la Bible et l’interprétation traditionnelle de l’histoire dans les enseignements chrétiens et juifs.

Le livre d’Ézéchiel définit le péché de Sodome très différemment : « Voici quel a été le crime de Sodome, ta sœur. Elle avait de l’orgueil, elle vivait dans l’abondance et dans une insouciante sécurité, elle et ses filles, et elle ne soutenait pas la main du malheureux et de l’indigent. » (Ézéchiel 16: 49). Une interprétation similaire en est donnée dans Sagesse : « … Il était juste qu’ils (les pécheurs) souffrent en raison de leurs crimes, car ils avaient vraiment fait preuve d’une haine cruelle envers les étrangers. D’autres, jadis, n’avaient pas accueilli des inconnus de passage, mais eux réduisirent en esclavage des étrangers qui étaient leurs bienfaiteurs. » (Livre de la Sagesse, 19, 13-14). De même Ecclésiaste 16 dit : « Dieu n’a pas épargné la ville où Lot demeurait comme étranger, et il en a détesté les habitants à cause de l’insolence de leurs paroles (81). » Jésus exprime clairement sa propre compréhension du péché de Sodome dans plusieurs des Évangiles : « Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville (82). » La plupart des érudits, juifs aussi bien que chrétiens, considèrent traditionnellement que le péché qui provoqua la destruction de Sodome fut l’arrogance et le manque de charité, l’insouciance, l’inhospitalité ou la cruauté envers les étrangers, ou ceux qui étaient dans le besoin.

Genèse 18 et 19 racontent l’histoire de deux anges envoyés par Dieu à Sodome pour enquêter sur la méchanceté des habitants et déterminer « s’ils ont agi entièrement selon le bruit venu jusqu’à » lui. Les anges, ayant pris forme humaine, arrivèrent à la ville et Lot les hébergea chez lui pour la nuit. Une foule s’assembla autour de la maison de Lot et lui demanda de les faire sortir, afin qu’ils puissent les « connaître ». Le verbe « connaître » est utilisé dans un certain nombre de passages de l’Ancien Testament dans le sens d’« avoir des relations sexuelles avec une personne » (83). Lot refusa, en disant : « … ne songez point à commettre un si grand mal. J’ai deux filles qui sont encore vierges : je vous les amènerai : usez—en comme il vous plaira, pourvu ne vous ne fassiez point de mal à ces hommes-là, parce qu’ils sont entrés dans ma maison comme dans un lieu de sûreté. »

La foule rejeta le plaidoyer de Lot et, quand elle tenta d’enfoncer la porte de sa maison, les anges l’ aveugla, puis demandèrent à Lot et sa famille de fuir, après quoi la ville fut détruite.

Le passage indique clairement que la destruction de Sodome eut moins à voir avec la sexualité de ses habitants qu’avec leur attitude inhospitalière. Lot met ses deux filles vierges à la disposition de la foules turbulente, afin qu’elle fasse d’elles ce que bon lui semble, mais exige en contrepartie qu’elle laisse les deux hommes tranquilles, « parce qu’ils sont entrés dans ma maison comme dans un lieu de sûreté ». Les traitements brutaux que les hommes de Sodome s’apprêtaient à infliger aux visiteurs et que de nombreux érudits bibliques considèrent comme une tentative de viol constituaient une violation flagrante de la tradition séculaire du Proche-Orient, toujours vivante dans une grande partie du monde arabe, qui consistait à offrir de la nourriture, un abri et une protection aux voyageurs dont la survie dans ces terres arides dépendait littéralement de la gentillesse de ses habitants. L’association de l’homosexualité en tant que telle avec la destruction de Sodome n’intervint que beaucoup plus tard dans l’histoire juive. En fait, plusieurs chercheurs ont affirmé que les éléments sexuels de l’histoire n’y furent insérés qu’à une époque relativement récente (84).

D’autre part, la réaction des hommes de Sodome à l’arrivée des deux anges, dont nous pouvons penser qu’ils avaient pris la forme de jeunes hommes exceptionnellement beaux, montre que les rédacteurs de la Genèse étaient bien conscients des tendances homosexuelles des hommes de Canaan, Sodome et Gomorrhe étant des villes cananéennes. La narration dans le Livre des Juges d’un épisode similaire dans la ville de Judée de Gaba montre que les auteurs de la Bible étaient également conscients que les Hébreux avaient des tendances homosexuelles

Dans l’histoire, un voyageur et sa concubine arrivèrent à Gaba en fin de journée et installèrent leur litière sur la place de la ville pour y passer la nuit. Un vieil homme s’approcha d’eux et les pressa de passer la nuit chez lui, invitation que les voyageurs acceptèrent. Peu après qu’ils furent arrivés chez le vieillard, une foule d’hommes encerclèrent la maison et demandèrent à l’hôte : « Fais sortir l’homme qui est entré chez toi, pour que nous le connaissions. » (Juges, 19:22) L’hôte refusa en ces termes : « Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous prie ; puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie. Voici, j’ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme. » (Juges, 19:23-24) Les hommes refusèrent l’offre et insistèrent pour que le voyageur sorte de la maison, ce qui montre clairement qu’ils avaient des tendances homosexuelles. S’il s’était agi d’hétérosexuels normaux, dont les érudits sont convaincus qu’ils formaient l’immense majorité des hommes dans les temps bibliques, on peut penser qu’ils auraient accepté l’offre que leur avait faite l’homme de leur livrer sa fille vierge et la concubine du voyageur. De toute façon, une fois qu’ils eurent rejetée l’offre, le voyageur leur amena sa concubine et ils « la connurent, et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de l’aurore. » (Juges, 19:25) A l’aube, le voyageur sortit et trouva sa concubine morte. Outragé par le traitement sauvage que les hommes avaient fait subir à sa concubine, il avertit du crime les douze tribus d’Israël, qui vinrent et détruisirent la ville (85).

Comme dans le cas de la tentative de viol des anges par les hommes de Sodome, l’intention des hommes de Gaba de violer le voyageur fut considérée par les Hébreux comme une violation flagrante de l’obligation de bonté et d’hospitalité envers les étrangers. Le vieil homme le dit lui-même : « puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie », déclaration presque identique à celle que fit Lot aux hommes de Sodome. Alors qu’il semble clair que les hommes de Gaba avaient l’intention de violer le voyageur, il est certain que la plus grave de leurs offenses aux yeux des Hébreux, mis à part le viol et le meurtre de la concubine, fut leur violent mépris pour la tradition de bonté et d’hospitalité envers les étrangers, ou les nécessiteux. À aucun moment les hommes de Gaba ne sont dénoncés pour avoir voulu avoir des rapports homosexuels avec le voyageur. Le problème principal n’était pas l’acte homosexuel qu’ils s’apprêtaient à commettre, mais la manière violente et coercitive avec laquelle ils avaient l’intention de le commettre. Plutôt que de montrer que les Hébreux désapprouvaient l’homosexualité, l’épisode du voyageur à Gaba fournit la preuve que les Hébreux de l’époque étaient conscients de l’attraction qui peut exister entre deux hommes et étaient enclins, lorsque les circonstances s’y prêtaient, à assouvir leurs tendances homosexuelles.

L’amour entre héros : David et Jonathan

Compte tenu de l’absence d’interdiction des comportements homosexuels dans les Écritures hébraïques avant l’époque de l’exil, il n’est pas surprenant de trouver des preuves de l’homosexualité des grands personnages de la Bible. L’exemple le plus marquant d’une relation homosexuelle chez les premiers Israélites est la relation décrite dans I et II Samuel entre le grand héros israélite David et Jonathan, fils de Saul, premier roi d’Israël. L’affirmation selon laquelle David et Jonathan eurent des rapports sexuels a été violemment rejetée par les exégètes bibliques traditionnels, juifs et chrétiens. Toutefois, une lecture attentive de la relation qui est décrite entre ces deux hommes dans le texte, qui contient un certain nombre de références à la nature sexuelle de leur l’amitié, laisse peu de place à une autre interprétation de leur relation.

Saul monta sur le trône au XIe siècle avant notre ère, peu de temps après l’établissement des Israélites à Canaan. A cette époque, ils étaient fréquemment attaqués par les puissances voisines, en particulier les Philistins, peuple guerrier indo-européen qui s’était installé en Palestine et avait occupé une partie de la région montagneuse de Judée. Saul était un chef de guerre puissant et arrogant, dont le tempérament fougueux lui valut la colère de Yahweh. Après avoir défait une tribu voisine, il pensa qu’il pouvait passer outre à l’ordre que lui avait donné Yahweh d’exterminer le peuple et le bétail de l’ennemi vaincu et fit prisonnier son roi et captura le plus gras de ses moutons et de ses chèvres. À cause de cet acte de défi, il fut « rejeté » par Yahweh « et par conséquent troublé par des accès d’inquiétude et de mélancolie. Pour soulager sa douleur, ses serviteurs se mirent en quête d’un bon joueur de harpe, dont il pensaient que la douce musique redonnerait le moral au roi. Par conséquent, David, « un homme fort et vaillant, un guerrier, parlant bien et d’une belle figure » (1 Samuel 16:18), fut amené au roi. David, qui est décrit dans les Écritures comme exceptionnellement beau, entra au service du roi ; « il plut beaucoup à Saul, et il fut désigné pour porter ses armes » (1 Samuel 16-21). Et chaque fois que l’esprit de Dieu troublait Saul, David prenait la harpe et jouait (86).

Peu de temps après, les Israélites livrèrent bataille aux Philistins. Le grand héros des Philistins, Goliath qui, par sa taille et sa férocité, semait la terreur dans les rangs de l’armée de Saul, sortait tous les jours de la place forte et raillait les Israélites, mettant au défi l’un d’entre eux de se mesurer à lui et d’essayer de le vaincre. David répondit au défi de Goliath et l’affronta. Il lui jeta une pierre avec sa fronde et la pierre frappa le front du géant, qui tomba à terre. David lui coupa la tête avec son épée. A la vue de leur champion vaincu, les Philistins s’enfuirent, poursuivis par l’armée israélite et, dans la déroute qui s’en suivit, l’ennemi fut chassé du pays (87).

David, tenant toujours la tête de Goliath dans ses mains, fut amené devant Saul, stupéfait. Saul était accompagné de son fils, Jonathan, héros guerrier à part entière, qui avait précédemment permis à l’armée israélite de remporter une victoire importante sur les Philistins. Après que David et Saul eurent fini de parler, les Écritures disent que Jonathan fut frappé par la beauté du jeune héros et que « l’âme de Jonathan fut attachée à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme » (1 Samuel 18:1), « … Jonathan fit alliance avec David, parce qu’il l’aimait comme son âme. Il ôta le manteau qu’il portait, pour le donner à David; et il lui donna ses vêtements, même son épée, son arc et sa ceinture.(1 Samuel 18:3-4) » (88). Saul installa alors David dans le palais royal, où résidait également son fils. Plus tard, Saul se dit qu’il donnerait sa fille, Michal, en mariage à David et « dit à David : Tu vas aujourd’hui devenir mon gendre par deux [de mes filles] » (89). Saul voulait dire par là que David serait son gendre par deux de ses enfants, c’est-à-dire par la relation de David avec son fils, Jonathan et par le mariage de David à sa fille Michal. Cette reconnaissance implicite par Saul de la relation sexuelle de son fils avec David a été négligée par la plupart des exégètes bibliques.

David se montra rapidement un soldat d’exception, car « David allait et réussissait partout où l’envoyait Saul ; il fut mis par Saul à la tête des gens de guerre, et il plaisait à tout le peuple, même aux serviteurs de Saul » (90). La popularité de David auprès du peuple rendit Saul jaloux de lui, qu’il voyait comme une menace à sa royauté. Saul se retourna contre David et dit à Jonathan et à ses serviteurs qu’il voulait faire tuer le jeune héros. Jonathan, en vertu de son amour pour David, l’avertit du complot et veilla à ce qu’il se cache. Jonathan dit à David qu’il sonderait le cœur son père, pour chercher à découvrir s’il voulait vraiment le tuer et qu’il s’arrangeait pour le rencontrer ensuite dans un lieu secret, pour lui révéler ce qu’il avait découvert.

Un soir, à table, Saul, voyant la place de David inoccupée, demanda où il se trouvait. Jonathan, pour protéger son ami, répondit à son père que David avait dû retourner chez lui, à Bethléem, pour participer à un sacrifice de famille. Saul ne crut pas son fils et se mit en colère contre lui : « Fils pervers et rebelle, ne sais je pas que tu as pour ami le fils d’Isaïe, à ta honte et à la honte de ta mère? Car aussi longtemps que le fils d’Isaïe sera vivant sur la terre, il n’y aura point de sécurité ni pour toi ni pour ta royauté. Et maintenant, envoie-le chercher, et qu’on me l’amène, car il est digne de mort. (1 Samuel 20:31) Il se leva de table dans une ardente colère, et ne participa point au repas le second jour de la nouvelle lune; car il était affligé à cause de David, parce que son père l’avait outragé. » (1 Samuel 20-34) (91). Jonathan retrouva David dans sa cachette et lui dit qu’il était forcé de s’enfuir. Sur le point de devoir se séparer, « (l)es deux amis s’embrassèrent et pleurèrent ensemble » (92).

David s’enfuit donc de chez Saul, devint pendant un certain temps un hors-la-loi, puis se réfugia sur le territoire des Philistins, où il apprit que Saul et Jonathan étaient tombés sur le champ de bataille. David pleura la mort de son ami et se lamenta : « Jonathan, mon frère, je t’aime tant ! Ton amitié m’était plus merveilleuse que l’amour des femmes (93). » Les mots que choisit David pour exprimer ses sentiments pour Jonathan sont étonnamment semblables à la description de l’amour de Gilgamesh pour Enkidu. Avant de rencontrer Enkidu, Gilgamesh fait l’amour en rêve aux symboles d’Enkidu « (c)omme on se penche sur une femme ». Après la mort de son ami, Gilgamesh, « comme un veuf, pleure Enkidu » et « voile son ami mort comme le ferait une épouse » (94).

Il a bien sûr été avancé que deux hommes peuvent avoir partagé une grande amitié sans être homosexuels. Cependant, compte tenu de ce que nous savons des attitudes envers l’homosexualité dans les cultures orientales durant cette période, il est clair que la relation entre David et Jonathan telle qu’elle est décrite allait au-delà des liens de l’amitié ordinaire. Premièrement, dans la Mésopotamie et dans l’Égypte de l’antiquité, comme nous l’avons vu, il n’était pas inhabituel pour les hommes virils d’avoir des relations sexuelles ; par conséquent, il aurait été conforme aux pratiques sexuelles en vigueur dans la région à l’époque que Jonathan et David aient eu un lien de nature sexuelle. Deuxièmement, comme l’homosexualité ne fait l’objet d’aucune interdiction dans les écrits pré-exiliques de la Bible, aucun obstacle moral n’existait à une relation sexuelle entre les deux hommes. Troisièmement, l’intensité dramatique de la langue utilisée dans le texte pour décrire la naissance de leur relation (« l’âme de Jonathan fut attachée à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme ») est une référence sans équivoque à l’amour homosexuel. Quatrièmement, la nature singulière de l’amour entre les deux hommes est affichée sans ambiguïté par Jonathan, quand il donne ostensiblement à David ses propres vêtements et sa propre armure, pour ne rien dire de l’alliance éternelle qu’ils se jurent. Effectivement, le mot hébreu employé dans le texte pour exprimer cette « alliance » est le même mot qui est utilisé ailleurs dans les Écritures pour désigner un accord de mariage (95). De même, le qualificatif de « frère », que David applique à Jonathan dans sa fameuse plainte, est un mot doux que les époux ou les amants emploient pour s’adresser l’un à l’autre dans les Écritures (96). Ce qui suggère également l’existence d’une relation de nature conjugale, ou « familiale », entre David et Jonathan est le fait que David accueille chez lui le fils de Jonathan à la mort de celui-ci et qu’il dit l’avoir fait « pour l’amour de Jonathan » (97). Finalement, la proposition que Saul fait sur un ton sarcastique à David de devenir son gendre « par deux (de ses enfants) », en se mariant à Michal, est la reconnaissance explicite d’un lien sexuel – équivalant à un mariage, aux yeux de Saul – entre David et Jonathan.

L’éclat de colère de Saul (1 Samuel 20:30) n’est pas non plus sans trahir la véritable nature de la relation entre Jonathan et David, même si cela n’apparaît pas clairement dans les traductions modernes de la Bible. Dans la Bible du roi Jacques, Saul dit : « ne sais-je pas que tu as choisi le fils d’Isaïe à ta honte et à la honte de la nudité de ta mère ? » (98) Le mot hébreu qui y est traduit par « choisi » et qui l’est par « es de connivence avec » dans la Bible de Jérusalem peut également être rendu par « as pris le parti de », « t’es lié d’amitié avec » et « es un camarade de ». Cependant, la Septante, la version la plus ancienne, rend le mot par « metecho », « partenaire » ou « compagnon ». Le grand érudit biblique d’Oxford Samuel Rolles Driver a conclu que seule la Septante donne une traduction cohérente du passage, à savoir : « Ne sais-je pas que tu es un compagnon intime du fils d’Isaïe ? »

De la même manière, la Vulgate de saint Jérôme traduit le terme par « diligo », « aimer », ou « chérir » et c’est cette version dont s’est servi Ronald Knox pour traduire le passage ainsi : « Pensez-vous que je n’ai pas remarqué comme tu aimes ce fils de Jesse, pour ta perte et pour la sienne, la mère honteuse qui t’a nourri (98 [erreur de numérotation (N.d.E.]). »

L »accusation d’homosexualité que profère Saul est renforcée par la dernière partie de la phrase : « à la honte de la nudité de ta mère. » Les mots « honte » et « nudité » dans le passage sont des allusions péjoratives à la sexualité qui apparaissent fréquemment dans l’Ancien Testament. Le fait que Saul les emploie indique que la camaraderie intime à laquelle il se réfère entre David et Jonathan est de nature sexuelle. « Honte » et « nudité », dans les langues sémitiques, sont des euphémismes péjoratifs qui désignent la sexualité d’une personne, ou d’un groupe de personnes, sans avoir à faire directement référence à cette personne, ou à ce groupe (99). Qu plus est, dans le même passage, David, objet de la haine de Saul, n’est pas nommé, mais est désigné indirectement comme le « fils de Jesse ». Le passage ne laisse donc aucun doute sur le fait que Saul se réfère à une relation sexuelle entre Jonathan et David.

S’il ne s’était agi que d’une amitié platonicienne, il aurait été absurde que Saul y fasse allusion en présence de son fils. Mais il aurait été naturel que Saul, dans sa colère, attire l’attention sur le lien qui unissait les deux hommes, étant donné que ce lien aurait amené son fils à donner la préférence à son ami sur son père. Et la raison pour laquelle Saul est en colère contre Jonathan est indiquée clairement : Saul accuse son fils d’avoir aidé David à fuir en raison des liens de nature homosexuelle qu’il a avec David. La réaction de Jonathan à l’admonestation de Saul – il quitte la table en colère sans manger » – souligne la force des liens émotionnels qui le lient au jeune héros.

L’historien John Boswell a noté que les rédacteurs de la Mishna, compilée pendant les premiers siècles du christianisme, citent Jonathan et David en exemples (Talmud, Aboth, 5:16), tandis qu’ils présentent la passion hétérosexuelle entre Amnon et Tamar, également narrée dans 2 Samuel, comme transitoire. Boswell soutient que la comparaison entre les deux couples semble impliquer la reconnaissance d’une relation physique entre David et Jonathan. En effet, le mot utilisé pour décrire l’amour entre les membres des deux couples est le même dans tout la Mishna (100).

Tom Horner fait valoir une analyse psychologique de la relation entre David et Jonathan dont la conclusion est que Jonathan, le prince royal, était l’agresseur, et l’ambitieux jeune David le séducteur consentant. L’étude a constaté que David « répond sans aucune réserve » aux avances de Jonathan et que, bien que son homosexualité ne fût que passagère, il en tira profit en cimentant une étroite alliance entre lui et la famille royale (101). Quelles qu’aient été les circonstances dans lesquelles elle naquit et les motifs qui explique sa naissance, la relation entre David et Jonathan est un type d’amour entre héros qui était très probablement fréquent parmi les membres de l’aristocratie militaire de l’ancien Moyen-Orient. Comme l’a écrit le rabbin Raphaël Patai, « (l)’histoire d’amour entre Jonathan, fils du roi Saul, et David, le beau héros, dut faire naître de nombreux amours du même genre dans les cours royales de toutes les régions du Moyen-Orient à toutes les époques » (102).

Les connotations sexuelles dans le livre de Daniel – la captivité babylonienne

Certains chercheurs ont suggéré que lé désir sexuel ne fut pas étranger à la « faveur et (à la) grâce » que le prophète Daniel trouva devant le « chef des eunuques » de la cour de Nabuchodonosor (103). Autrefois, les hommes dont le titre a souvent été traduit par le terme d’ « eunuques du roi » n’étaient généralement pas castrés, mais étaient le plus souvent des homosexuels passifs qui se livraient aux désirs sexuels des hommes virils. Le recrutement de fonctionnaires et de serviteurs royaux homosexuels remonte aux premières périodes de la civilisation mésopotamienne. La castration de fonctionnaires de la cour fut signalée pour la première fois chez les Assyriens au Ve siècle avant notre ère par l’historien grec Hérodote (104). Hérodote mentionne cette coutume un peu plus d’un siècle après la mort de Nabuchodonosor, il est donc possible qu’elle ait existé à Babylone sous son règne. La castration consistait habituellement en l’ablation des seules testicules et était souvent pratiquée après la puberté, de sorte que les individus concernés, s’ils étaient privés de leurs facultés de reproduction, pouvaient avoir une vie sexuelle satisfaisante. En fait, dans les harems du monde islamique, où ils étaient souvent employés comme gardes, les eunuques étaient appréciés par les femmes, parce que, leurs éjaculations n’étant pas abondantes, ils pouvaient avoir des érections prolongées (105). Malgré la popularité dont ils continuèrent à jouir dans les harems à des époques ultérieures, les eunuques de l’ancien Moyen-Orient sont généralement associés à l’homosexualité. Que le chef des eunuques ait été émasculé ou non, sa seule fonction, selon la tradition, était d’assouvir les besoins sexuels des hommes virils. Donc, étant donné les coutumes de l’époque, le fait qu’un jeune homme trouve « faveur et grâce » devant un homme tend à indiquer qu’il a des rapports sexuels avec lui.

Le phénomène de la castration des garçons et des hommes attachés au service d’un roi, bien que peu compris par les Occidentaux modernes, était une coutume répandue vers la fin de l’Antiquité. Comme les fonctionnaires castrés ne pouvaient pas avoir de descendance, les monarques n’avaient aucune raison de craindre les ambitions des fonctionnaires puissants, tant qu’ils étaient eunuques. Selon l’écrivain grec Xénophon, le roi perse Cyrus le Grand, qui régna au VIe siècle avant notre ère, préférait que ses fonctionnaires soient des eunuques, parce qu’il pensait que seul ce type d’hommes pouvait être d’une loyauté sans faille envers lui. Xénophon écrit que, sous le successeur de Cyrus, Darius, les eunuques acquirent une vaste autorité politique et semblent avoir occupé tous les principaux postes de fonctionnaires. Ils étaient les conseillers du roi dans le palais et ses généraux sur le champs de bataille (106).

Étant donné les coutumes sexuelles de l’époque, il n’est pas surprenant que les jeunes eunuques aient souvent été soumis aux désirs sexuels de l’aristocratie. Un des effets de la castration est de ralentir le vieillissement. En effet, l’ablation des testicules réduit considérablement le taux de testostérone et la testostérone est responsable du développement de la pilosité et de la calvitie. Le tribu payé par Babylone à Darius consistait en mille talents d’argent et en 500 garçons castrés (107). Les harems des rois perses Darius III et Artaxerxès comprenaient à la fois des concubines et des eunuques. Un des amants d’Alexandre le Grand fut Bagoas, un jeune et bel eunuque persan qui avait été auparavant l’amant de Darius (108).

Il est intéressant d’examiner les circonstances dans lesquelles Daniel parut à la cour de Nabuchodonosor. Après la conquête de Jérusalem par les Babyloniens, le roi ordonna à son chef des eunuques « de choisir parmi les Israélites un certain nombre de garçons de descendance royale ou noble. Ils devaient être exempts de défauts physiques, beaux … aptes au service du roi ». Ainsi, Daniel et trois autres beaux captifs israéliens furent attachés au service du roi (109). Depuis des milliers d’années, les conquérants dans toute la région avaient l’habitude de prendre de beaux jeunes captifs à leur service, ou de les vendre en esclavage. Une de leurs fonctions principales était de satisfaire les besoins sexuels de leurs maîtres. L’Odyssée mentionne des commandants de navires phéniciens qui achètent ou kidnappent des garçons pour les vendre à ces fins à de riches acheteurs (110). Le livre de Joël fait allusion à la vente de jeunes hommes comme esclaves sexuels (111). Le trafic des beaux garçons à des fins sexuelles était très répandu dans l’ancien Moyen-Orient et dans le monde gréco-romain et continua à l’être dans le monde islamique à l’époque moderne. Le fait que la beauté et la perfection physique des jeunes hommes furent les deux qualités spécifiées par le roi dans le sélection des prisonniers hébreux destinés à être attachés à son service suggère fortement que le début du Livre de Daniel donne un aperçu de cette ancienne coutume sexuelle très répandue dans la région.

Il est possible que Daniel et ses beaux compatriotes soient devenus des eunuques pour servir à la cour de Babylone. Flavius Josèphe, un 1re siècle de notre ère, soutenait que Daniel avait été châtré et sodomisé par Nabuchodonosor. Ce scénario est certainement possible, compte tenu des pratiques de l’époque. David Greenberg a observé que, même si Joseph n’est pas toujours considéré comme une source fiable, son témoignage fournit des preuves que la castration des courtisans était courante dans les empires de l’Orient (112). Il a également été soutenu que le succès remarquable de Joseph, le fils de Jacob, à la cour du pharaon fut dû au fait qu’il était eunuque et qu’il fournit des services sexuels, d’abord à Potiphar et ensuite au pharaon (113).

L’hostilité juive à l’homosexualité après l’exil babylonien

L’exil des Hébreux à Babylone commença en 587 avant notre ère, lorsque le Babylonien Nabuchodonosor conquit et détruisit la ville de Jérusalem, rasa le Temple, asservit le peuple juif et amena un grand nombre d’Israélites à Babylone. Après que le monarque perse Cyrus le Grand eut renversé les Babyloniens en 539 avant notre ère, il permit à un grand contingent d’Israélites de revenir dans leur patrie et les aida à reconstruire le Temple à Jérusalem. L’ardeur avec laquelle les Israélites continuèrent à observer leurs rites et leurs pratiques religieuses avait naturellement diminué au cours des cinq décennies qu’ils avaient passées à Babylone. Les dirigeants babyloniens avaient accordé aux Israélites une certain nombre de droits et leur avaient permis de prendre part à la société babylonienne, si bien que quelques Israélites en vinrent même à occuper des postes importants dans le gouvernement. Beaucoup d’Israélites participaient à des rituels non-hébraïques et les mariages entre les Hébreux et les Babyloniens étaient communs. Lorsque Cyrus vainquit les Babyloniens et invita les Hébreux à retourner dans leur patrie, le processus d’assimilation qui avait commencé à Babylone ne cessa pas à leur retour à Canaan.

Une fois revenus en Israël, les Israélites se retrouvèrent dans un pays sans frontières sûres et dépourvu des institutions religieuses et tribales qui les avait unis en tant que peuple depuis leur conquête de Canaan. En fait, la seule chose qui faisait encore d’eux une nationalité distincte était le culte de leur dieu tribal, Yahweh, encore que, comme nous l’avons vu, ce lien s’était sérieusement relâché au cours des années qu’ils avaient passées à Babylone. De nombreux Israélites revinrent chez eux mariés à des Babyloniennes et continuèrent à participer au culte babylonien de la déesse. En raison de l’affaiblissement des pratiques religieuses traditionnelles juives, le sacerdoce dut certainement reconnaître la nécessité de rétablir un ordre religieux juif pour tous les Israélites comme une étape indispensable à la réaffirmation de l’identité nationale. Une étape fondamentale dans la réalisation de ce but fut la convergence des courants concurrents de la religion hébraïque dans une Écriture unifiée pour un peuple juif unifié.

Le roi perse Artaxerxès, au début du Ve siècle avant notre ère, nomma un des prêtres d’Aaron encore à Babylone, Esdras, chef religieux des Israélites à Juda et à Jérusalem. Cette décision capitale devait influencer fortement le développement de la religion juive. Artaxerxès ordonna à Esdras d’« inspecter Juda et Jérusalem d’après la loi de ton Dieu, laquelle est entre tes mains » (Esdras 7;14). Le roi autorisa Esdras à puiser dans le trésor provincial les fonds qu’il jugeait nécessaires pour la direction du culte et l’enseignement de la Loi au peuple, Loi qui, déclara Artaxerxès, était « la loi du roi ». Artaxerxès décréta que « (q)uiconque n’observera pas ponctuellement la loi de ton Dieu et la loi du roi sera condamné à la mort, au bannissement, à une amende, ou à la prison » (114). Le sacerdoce d’Aaron, soutenu par le monarque perse, eut ainsi le champ libre pour réviser les nombreux textes religieux hébraïques et les regrouper dans l’ouvrage qui fut connu ensuite sous le nom d’Ancien Testament (115).

La compilation et l’édition des textes religieux par les Aaronites eurent lieu à un moment crucial de l’histoire du peuple juif. Le traumatisme de leur captivité à Babylone, durant laquelle l’identité des Hébreux en tant que peuple avait failli se dissoudre, eut un profond effet sur les préoccupations et les attitudes religieuses des Israélites au moment où ils entreprirent de reconstruire leur société en Israël. Les préceptes religieux compilés pendant et après la captivité babylonienne sous la direction du sacerdoce d’Aaron et l’organisation sociale qui en résulta permirent de concilier les éléments principaux de la religion judaïque telle qu’elle est connue depuis et d’intégrer des Douze Tribus d’Israël en un seul peuple juif.

Les Israélites n’étaient plus le même peuple, une fois revenus dans leur patrie. Longtemps habitués à un mode de vie presque insulaire d’agriculteurs et d’éleveurs, nombre d’entre eux avaient été déracinés par les bouleversements désastreux causés par l’invasion assyrienne du royaume du Nord. Le cataclysme subséquent de l’invasion des Babyloniens et de l’exil à Babylone détourna la grande majorité des Israélites de l’agriculture et de l’élevage. Par nécessité, Ils devinrent une nation d’artisans et de marchands dépendant du commerce avec les nations étrangères. Les Juifs n’étaient plus les héritiers confiants d’Abraham, certains de leurs droits sur la Terre promise, mais se considéraient comme une petite partie d’un monde beaucoup plus vaste de nations plus puissantes, soumise à des guerres d’invasion et vivant sous la menace toujours présente de la subjugation.

Les contraintes et les incertitudes de leur nouvelle situation les conduisirent à adopter une vision pessimiste du monde et des choses matérielles, dans laquelle « l’homme était conçu comme une créature faible, impuissante, héritière des tendances innées mauvaises de son père originel, Adam, constamment tenté et irrésistiblement attiré par le mal, personnifié par Satan » (116). Parmi les faiblesses de l’homme, la plus grande, selon le sacerdoce, était l’attrait du sexe, vue qui commença à s’exprimer fréquemment dans les écrits juifs de la période post-exilique. Cette vue négative du sexe est visible, par exemple, dans le Testament du patriarche Reuben, qui affirme que le sexe « mène le jeune homme comme un aveugle à une fosse et comme une bête à un précipice » (117a). Les femmes, déjà suspectes aux yeux du sacerdoce en raison de leur association avec le culte de la déesse dans la période pré-exilique, furent présentées par le sacerdoce post-exilique comme des avortons et, en leur qualité de tentatrices, comme la cause de la faiblesse morale des hommes (117b). De là les vues très négatives qui sont exprimées sur les femmes dans les écrits post-exiliques et la sévérité des règles de conduite sexuelle qui trouvèrent place dans les codes de la loi qui furent développés dans la période qui suivit les invasions assyriennes et babyloniennes

La dévastation du royaume d’Israël par les Assyriens, puis la catastrophe de la captivité à Babylone, furent interprétés par le sacerdoce comme le châtiment dont Yahweh avait frappé les Israélites pour n’avoir pas observé sa Loi. Ce n’était pas surprenant, puisque les prophètes sacerdotaux avaient prédit à maintes reprises que le manque de dévotion à Yahweh et la participation au culte de Baal et Ashera conduiraient à des désastres et à la destruction de leur nation. En raison des vues pessimistes qu’il avait sur la fragilité morale de l’homme – vulnérable aux tentations toujours présentes de Satan – et sur les dangers représentés par les appâts de la sexualité, le sacerdoce se persuada que seule l’adhésion à un code moral strict et ascétique pourrait assurer à Israël la protection de Dieu (118). L’affront le plus évident à la Loi aux yeux du sacerdoce était, bien sûr, la participation continuelle de nombreux Juifs au culte de Baal et Ashera, dans lequel les rituels homosexuels occupaient une place importante.

La vulnérabilité des Israélites en tant que peuple, l’urgence de contrôler la nature pécheresse de l’homme pour lui assurer la protection de Yahweh, la désaffection des Hébreux à l’égard de leurs pratiques religieuses traditionnelles et la persistance du culte de la déesse dans le peuple étaient des facteurs dont devaient avoir parfaitement conscience le sacerdoce, au moment où il se mit à compiler et à éditer des différents documents originaux en un seul texte. La tache principale que se donnèrent les éditeurs aaronites fut de purifier les pratiques religieuses hébraïques, d’abord en définissant les normes rituelles et comportementales qui distinguaient les Hébreux des autres peuples par leur qualité de peuple élu de Yahweh, puis en interdisant une fois pour toutes les rituels du culte de la déesse et les pratiques religieuses des peuples voisins auxquelles se livraient toujours de nombreux Israélites.

Le code des normes religieuses et comportementales qu’ils rédigèrent se trouve principalement dans le livre du Lévitique, nommé d’après la tribu sacerdotale des Aaronites, les Lévites et qui est le seul livre de la Torah entièrement composé après l’exil. Un certain nombre d’historiens ont conclu que les règles strictes sur l’habillement, l’alimentation et le comportement contenues dans le Livre du Lévitique représentaient la tentative de restauration d’une religion et d’une identité nationale hébraïques par la distinction de la religion et des pratiques des Hébreux de celles de leurs voisins (119). Parmi les restrictions qu’il énonce figurent deux dispositions interdisant l’homosexualité masculine. La première est traduite comme suit dans les versions moderne de la Bible : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » (Lévitique, 18:22,). Lévitique 20:13 réitère cette interdiction et précise le châtiment qu’encourent ceux qui la transgresseraient : « ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux. »

Beaucoup considèrent la condamnation de l’homosexualité masculine dans le Lévitique comme pure et simple, à l’instar des commandements de Moïse. Toutefois, l’origine et le contexte des dispositions ainsi que le choix des mots utilisés montrent clairement que leur intention initiale avait plus à voir avec la pureté religieuse et ethnique qu’avec le comportement sexuel et que le premier objectif était de purger le culte juif de ses éléments étrangers, principalement les rituels de Baal et Ashera. En effet, Lévitique, 18 commence et se termine par des exhortations contre les pratiques des Égyptiens et des Cananéens, ce qui implique que les pratiques interdites énumérées dans le chapitre, qui incluent l’injonction contre l’homosexualité masculine, constituent celles de ces peuples voisins.

Les pratiques religieuses de leurs voisins que désapprouvaient les Israélites et qui préoccupaient les prêtres de Yahweh comprenaient évidemment le culte de la déesse, qui, à cette époque, consistait notamment à sacrifier des porcs et à pratiquer des rituels homosexuels. En conséquence, les rédacteurs du Lévitique prononcèrent des interdictions contre la consommation de porc et contre l’homosexualité, pratique courante chez les voisins des Israélites et, en général, élément essentiel du culte de la déesse (120).

Bien que les chrétiens et les Juifs d’aujourd’hui lisent Lévitique, 18:22 comme une injonction aussi claire et nette que «Tu ne tueras pas », le texte hébreu a un sens très différent. Le mot rendu par « abomination » dans les traductions chrétiennes et juives modernes est « to-ebah », « impur », « rituellement impur » ou « idolâtre ». Cette expression trouve son origine dans le mot égyptien traduit par « saint » ou « sacré », que les prêtres de Yahvé s’approprièrent et auquel il donnèrent ensuite un sens négatif dans leur condamnation des rites et des pratiques qui étaient saintes ou sacrées pour les non-Hébreux et que les prêtres de Yahweh considéraient comme idolâtres (121). Le sens du mot est clair dans l’expression « to-ebah ha goyem », « l’impureté des Gentils ». Le terme est utilisé cent seize fois dans l’Ancien Testament, presque toujours en référence à l’idolâtrie. Par exemple, lorsque le peuple de Juda est dénoncé comme idolâtre dans I Rois 14, to-ebah est utilisé dans le verset 24 en référence aux rites homosexuels des kadesh, les prostitués sacrés associés au culte de la déesse auxquels il est fait allusion dans le verset 23. D’autre part, dans sa condamnation de la prostitution classique, une infraction de nature strictement sexuelle, Levitique, 19:29 utilise un terme différent, « zimah » (122).

Un deuxième défaut des traductions modernes de la Bible est leur incapacité à rendre exactement le sens des mots hébreux utilisés pour désigner tel ou tel des actes sexuels désapprouvés. La traduction moderne du terme désignant l’acte sexuel dans le verset « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme » est imprécise et trompeuse. L’acte interdit est indiqué par les mots « miskebe issa », construction très inhabituelle et même unique dans les Écritures hébraïques. Cependant, une expression similaire – « miskab zakar » (littéralement, « coucher avec un homme ») – apparaît dans un certain nombre de passages pour désigner l’introduction du pénis dans le vagin (Genèse, 20:15-16 ; Exode, 22:15 ; Nombres, 31:17, 18, 35 ; Juges, 21:12). Parce que le mot d’« issa » signifie « femme », un certain nombre de chercheurs ont conclu que l’expression « miskebe issa » pourrait se traduire par « coucher avec une femme » (123), ou « tenir le rôle de la femme ou du réceptacle dans les rapports sexuels ». Si l’intention des auteurs des Écritures avait été d’interdire à un homme de sodomiser un autre homme, ils auraient pu utiliser l’expression courante de « coucher avec un homme » au lieu d’une expression très inhabituelle qui ne se rencontre nulle part ailleurs dans les Écriture hébraïques (124). La stigmatisation de l’homosexualité passive par les auteurs aaronites du Lévitique peut s’expliquer par leur animosité à l’égard des prostitués sacrés, les kadesh, qui accomplissaient cet acte sexuel dans le cadre des rituels du culte de la déesse (125). L’impression que la disposition est dirigée contre les prostitués sacrés est renforcée par le fait que le terme désignant l’homme avec lequel l’acte est pratiqué est « zakar », au lieu d’« ish », terme le plus couramment utilisé pour désigner un homme. Alors que le terme de « zakar » peut se référer à un homme, il est principalement utilisé pour désigner des hommes exerçant des fonctions sacrées, comme les prêtres, ou des hommes consacrés à Yahweh d’une manière ou d’une autre. Il est utilisé dans Deutéronome, 20:13 pour désigner les Cananéens qui font tomber les prêtres ou les fonctionnaires religieux israélites dans l’idolâtrie et est même utilisé deux fois (Deutéronome, 4:16 et Ézéchiel 16:17) pour désigner les idoles païennes de sexe masculin. Le mot d’« ish », qui se réfère aux hommes dans des contextes ordinaires, non religieux, apparaît plus de deux mille cent fois fois dans les Écritures, tandis que « zakar » ne s’y rencontre que quatre-vingt-six fois fois. Quand on considère 1) les connotations cultuelles ou sacrées du terme de « zakar », l’homme avec qui est pratiqué l’acte, 2) le fait que ce qui est interdit pour un homme est de tenir le rôle de la femme dans les rapports sexuels, 3) l’animosité historique de la prêtrise envers le culte de la déesse et envers ses serviteurs homosexuels et 4) les connotions religieuses du mot de « to-ebah » et son utilisation dans d’autres passages des Écritures pour condamner l’idolâtrie, il est difficile de ne pas conclure que, dans ce verset, les rédacteurs du texte visaient les kadesh (126).

Les mises en garde contre les pratiques idolâtres des Cananéens et des Égyptiens dans le préambule et la conclusion de Lévitique, 18 et l’utilisation du vocabulaire religieux pour prononcer l’interdiction pour un homme de tenir le rôle passif dans les rapports sexuels indique clairement que la conformité aux normes religieuses et ethniques et non la réglementation des comportements sexuels était l’objectif principal de la disposition (127). L’érudit biblique juif Louis Epstein a montré que l’expulsion du temple des kadesh, dont les activités sont également décrites comme « to-ebah », « était due moins à des considérations de moralité sexuelle qu’à l’idolâtrie à laquelle ils se livraient » (128). Les traités de morale juifs de la période qui suivit l’exil établissent à plusieurs reprises un lien entre les relations homosexuelles et la pratique de l’idolâtrie (129).

La dérivation du mot de « to-ebah » du terme égyptien signifiant « sacré » ou « saint », qui souligne la connotation religieuse de l’expression, met en question, en fait, la traduction de « to-ebah » par le mot d’« abomination ». L’édition 2006 du Random House Unabridged Dictionary définit « abomination » comme « 1. chose abominable. chose profondément détestée ou abhorrée ; 2. intense aversion ou dégoût ; 3. état, habitude, etc. vil, honteux, ou détestable : cracher en public est une abomination ». Le mot n’a donc rien à voir avec l’idolâtrie, ou les pratiques d’un culte étranger. Il s’agit plutôt d’une pratique qui provoque une réaction intense chez une personne, réaction d’horreur, d’aversion ou de dégoût. Il est donc clair qu’il est impropre de rendre par le mot d’« abomination », qui se réfère à une réaction viscérale d’aversion ou de dégoût, le terme religieux hébreu de « to-ebah », utilisé dans de nombreux passages des Écritures hébraïques pour désigner le culte des dieux étrangers ou l’idolâtrie.

La proscription de l’homosexualité dans le Lévitique n’est qu’un élément d’un code qui interdisait aussi aux hommes de se couper les cheveux et la barbe, de porter des vêtements faits de deux sortes de tissu, de manger des crustacés, etc. Ces restrictions étaient propres à la culture hébraïque de l’époque et visaient clairement à distinguer les rituels et les pratiques ethniques juives de celles des autres peuples de la région. Il est douteux que les dispositions interdisant l’homosexualité aient été appliquées à la lettre. Bien que, dans le code, la peine de mort ait été prescrite contre ceux qui violaient l’interdiction de l’homosexualité, il est révélateur qu’il n’y a absolument aucune preuve qu’un homme ait jamais été exécuté en raison de son homosexualité (130).

Après les conquêtes d’Alexandre le Grand au IVe siècle avant notre ère et la diffusion de la culture grecque dans tout le Proche-Orient, les Israélites subirent de nouveau l’influence des coutumes religieuses et sociales étrangères, dont celles des Grecs, chez qui l’homosexualité était répandue. De même que de nombreux Israélites avaient adopté les coutumes babyloniennes pendant l’exil, ainsi, à l’époque hellénistique, de nombreux Juifs commencèrent à ignorer les interdictions sexuelles et rituelles de la Torah et offrirent des sacrifices aux dieux grecs. Selon 1 Macchabées 15, un gymnase, « selon les usages des nations » – c’est-à-dire selon les usages des Grecs et donc fréquenté par des athlètes nus –, usages qui étaient réprouvés par les Juifs pieux, fut même construit à Jérusalem. Les Juifs « firent disparaître les marques de leur circoncision et ainsi, se séparant de l’alliance sainte, ils s’associèrent aux nations et se vendirent pour faire le péché » (ibid., 16) et se souillèrent « eux-mêmes par toutes sortes d’impuretés et de profanations » (131), ce qui implique un mépris général des injonctions du Lévitique en matière de sexualité. Cela, bien sûr, provoqua une réaction sévère du sacerdoce et, en effet, les écrivains juifs de cette époque dénoncèrent de manière particulièrement véhémente l’idolâtrie sexuelle des conquérants grecs. A mesure que les coutumes homosexuelles des Grecs devenaient la cible des condamnations du sacerdoce à la place de l’homosexualité passive des prostitués au service de la déesse, l’injonction lévitique interdisant aux hommes de tenir un rôle passif dans les rapports homosexuels commença à s’appliquer à tous les actes homosexuels.

James W. Neill, The Origins and Role of Same-Sex Relations in Human Societies, McFarland & Company, Inc., Publishers, Jefferson, NC – Londres, 2009, chap. IV : « Same-Sex Behavior at the Dawn of Civilization », traduit et élagué (*) de l’américain par B. K.

(*) L’ouvrage est tellement mal écrit, est tellement saturé de redites et de développements confus, que, pour l’intelligence du texte – dont, même si l’on sait que les critères des maisons d’édition sont devenus lâches, on se demande comment il a pu être publié tel quel – il a fallu procéder à des remaniements.

(i) Il semblerait que l’homosexualité chez les animaux soit provoquée, au moins en partie, par « un déséquilibre numérique entre mâles et femmes », qui amène « les individus du sexe majoritaire à s’exciter entre eux en l’absence suffisante de partenaires de l’autre sexe » (Pascal Picq et Philippe Brenot, Le Sexe, l’Homme et l’Évolution, Odile Jacob, Paris, 2009, p. 201)
(ii) Voir « Ancient American’s genome mapped, bbc.com », 13 février 2014, http://www.bbc.com/news/science-environment-26172174.
(iii) Nicholas Wade, « Ancient Man in Greenland Has Genome Decoded », 10 février 2010, http://www.nytimes.com/2010/02/11/science/11genome.html.
(iv) Il n’est pas exact que « les figurines préhistoriques de Sibérie ne sont pas des vénus… » (http://www.hominides.com/html/actualites/statuette-siberie-pas-vraiment-venus-prehistoriques-1012.php), car, comme le montre un échantillon beaucoup plus complet de photos des statuettes mises au jour sur le site de Mal’ta et sur celui de Buret (pour télécharger le dossier PDF en question, faire la recherche suivante : « Vénus Russie et Sibérie = MVRS – paleoscope »), certaines d’entre elles présentent les mêmes caractéristiques anatomiques que celles des « Vénus » du paléolithique retrouvées sur d’autres sites, à savoir, notamment, la stéatopygie et un développement exagéré de l’abdomen, des hanches, des seins et de la vulve.
(iv bis) Certes, « … il serait simpliste de supposer que la place prééminente que tiennent les déesses dans une société donnée reflète le statut de la femme dans cette société » (Hennie J. Marsman, Women in Ugarit and Israel, Brill, Leiden, 2003, p. 44). Mais il est encore plus simpliste de supposer que le statut de la femme dans une société donnée reflète exactement le pouvoir qu’elle y exerce effectivement, pouvoir qui, comme l’a brillamment mis en lumière Chinweizu, n’est pas de la même nature que le pouvoir masculin et qui, pour cette raison, passe inaperçu des hommes. D’autre part, quel que soit le statut de la femme dans une société dont les membres vénèrent une déesse mère, le pouvoir politique a beau y être détenu par l’homme, il n’en reste pas moins qu’il l’exerce sur la base des forces chthoniennes et des valeurs féminines qui sont au fondement du culte de la déesse mère.
(v) Ida Magli et Ginevra Conti Odorisio, Matriarcat et/ou pouvoir des femmes ?, Des femmes, 1983 ; Glimpses of Micronesia, vol. 24 : « Glimpses of Guam », Incorporated, 1984.
(vi) Jan Herman Ronhaar, Woman in Primitive Motherright Societies, J. B. Wolters, 1931, p. 54.
(vii) Le mythe de l’une d’entre elles, connue sous le nom de Mimia-Abere, vaut d’être rapporté : « Elle séduisit bien des d’hommes. Elle séduisit Badabada dans un bateau, fit tomber son bâton nasal dans l’eau, le fit plonger et essaya de le tuer avec la pagaie, quand il refit surface. Toujours en vie, il se lança à sa poursuite, mais elle fit pousser autour d’elle une herbe (mania) si dense que personne ne put la trouver. Elle est habituellement représentée en compagnie de ses filles adoptives, avec lesquelles elle attrape des crabes. Elle est la mère du vent du nord-ouest (la mousson). Elle tua tous ceux qui vivaient sur son île, excepté ses filles adoptives. Elle enleva sa jupe d’herbe, la jeta au loin et un bananier poussa à l’endroit où la jupe tomba. Ses filles furent ensuite transformées en fourmis. Le corps sans tête d’une des filles devint un tambour. Une jour, Abere eut des rapports sexuels dans un bateau, dont le tangage rendit la mer houleuse. Plus tard, l’homme lava son pénis dans la mer, qui est restée boueuse depuis ce jour près de Kiwai. Abere et ses filles se partagèrent un amant du nom de Mesede, qui tua le crocodile qui avait tué le fils d’Abere. Abere et ses filles firent des tresses à Mesede en se servant de boue ; puis ils eurent tous des rapports sexuels en secret dans le lieu de culte des hommes » (voir Gilbert H. Herdt (éd.), Ritualized Homosexuality in Melanesia, University of California Press, Berkeley – Los Angeles – Londres, 1993).
(viii) James W. Neil, p. 81-114.
(ix) « Un nombre croissant de chercheurs, avance James W. Neill (p. 117), pensent maintenant que, chez les premières tribus indo-européennes, l’entraînement d’un jeune à la chasse et à la guerre, qui faisait partie d’un processus d’initiation, avait lieu dans le contexte d’une relation homosexuelle entre le jeune et un guerrier et que cette tradition datait du néolithique », les références qu’il fournit à cet égard (voir p. 444, note 9) ne concernent cependant pas les premiers peuples indo-européens, mais certaines de leurs branches, comme les Celtes, les Germains, les Scandinaves et, évidemment, les Grecs et les Romains.
Voyons ce qu’il en est.
En ce qui concerne les peuples germaniques, l’auteur n’hésite pas à déclarer que « l’homosexualité sous la forme d’une pédérastie institutionnalisée… est considérée comme ayant été la règle dans (leurs) sociétés de guerriers » (p. 121). En effet, « Les historiens disposent d’éléments attestant également des pratiques homosexuelles chez les Hérules… peuplade germanique. Ces preuves sont dues à l’auteur byzantin Procope, grand historien du règne de Justinien né à la fin du ve siècle à Césarée, en Palestine. Secrétaire du général byzantin Bélisaire, il le suit dans ses campagnes et est témoin des faits qu’il conte dans ses Histoires. Dans le texte relatant la guerre contre les Goths en Italie, il montre qu’il existait une distinction entre les maîtres et les jeunes, qu’il appelle doüloi, littéralement « esclaves ». Dans son récit, il explique que les jeunes doivent faire preuve de leur courage pour être considérés comme des hommes. Les spécialistes ont démontré que l’usage du terme « esclave » n’est pas anodin, et est caractéristique du développement des sociétés d’hommes. Les Hérules pratiquant, nous l’avons vu, une forme d’initiation, les anthropologues considèrent comme plausible l’hypothèse selon laquelle la pédérastie serait partie prenante des rites. Par extension, après avoir prouvé que les Hérules se réfèrent, dans de nombreuses étapes de leur vie, au vieux fond des traditions indo-européennes, les spécialistes estiment qu’il est crédible de penser qu’il en va de même, à l’époque, pour les autres peuples germaniques venus de Suède que sont les Ruges, les Gépides, les Vandales ou les Burgondes ». Et les « preuves » vont s’amoncelant, car « le plus intéressant dans l’étude des pratiques homosexuelles antiques dans les sociétés germaniques, c’est le traitement de ces dernières selon que l’on y soit passif ou actif. L’homosexuel passif est en effet très mal vu dans ces sociétés : l’éromène est méprisé, son statut social est considéré comme inférieur jusqu’à ce qu’il devienne un adulte. S’il a le malheur de demeurer passif après ce passage dans le monde adulte, son sort est scellé. Tacite en apporte la preuve dans un texte du ier siècle retraçant les mœurs des Germains : Les traîtres et les transfuges sont pendus aux arbres ; les lâches, les poltrons, les gens de mœurs infâmes [corpore infamis] sont enfoncés dans la boue d’un marais avec une claie jetée sur le corps. Ce qu’expliquent les anthropologues, c’est que les « gens de mœurs infâmes » sont certes les homosexuels, mais plus précisément les gens « infâmes par leurs corps », ceux dont le corps est souillé, c’est-à-dire les homosexuels passifs. » (Thomas Rozec, Le IIIe Reich et les homosexuels, 2011, p. 15-16). Sur la base de ces « preuves », Bernard Sergent parle d’une « homosexualité généralisée dans l’ancienne société germanique… » Nous laisserons le mot de la fin à David F. Greenberg (op. cit., p. 246) qui, dans une note qui se trouve sur la même page que celle où il assène « que c’est dans ces sociétés de guerriers (Männerbünde) que la pédérastie était pratiquée. Il est raisonnable d’en inférer qu’elle avait des antécédents dans la pédérastie ritualisée de la Grèce archaïque », conclut : « Les sources ne parlent pas d’homosexualité dans les Männerbünde, seulement de licence sexuelle, de chasse, de combat et de rapine… » (*)
Reste, dira-t-on, le témoignage d’Ammien Marcellin (31, 9) au sujet de « l’indigne race des Taifales », chez qui, « dit-on (le témoignage est indirect), l’usage contraint les adolescents à prostituer aux plaisirs des hommes faits la fleur de leur jeunesse, et que nul d’entre eux ne peut se rédimer de cette immonde servitude, avant d’avoir pris, sans aide, un sanglier à la chasse, ou terrassé, de ses propres mains, un ours de grande taille ». Seulement, « (l)’assertion constamment répétée selon laquelle les Taifali étaient un peuple germanique est complètement infondée » (Otto J. Maenchen-Helfen, The World of the Huns: Studies in Their History and Culture, University of California Press, berkeley, 1973, p. 26). Il est à noter que les Taifali, lorsque, après avoir accompagné les Huns en Thrace et plus tard combattu, puis servi les armées romaines et ensuite les armées mérovingiennes, ils s’établirent en Aquitaine (L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, colloque international du C.N.R.S tenu à la Fondation Singer-Polignac [Paris, 14-16 mai 1990], actes réunis et préparés par Jacques Fontaine et Christine Pellistrandi, publiés avec le concours de la Fondation Singer-Polignac, Madrid, Casa de Velazquez, Collection de la Casa de Velazquez, 1992, p. 110) et dans le Poitou (Charles Athanase Walckenaer, Géographie ancienne historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine, vol. 2, Paris, 1839, p. 454), à partir de la fin du IVe siècle, ils le firent dans le voisinage des Sarmates, dont ils étaient parents et dont les observateurs antiques furent frappés par le statut éminent qu’avaient les femmes dans leur société (Iaroslav Lebedynsky, Les Sarmates: amazones et lanciers cuirassés entre Oural et Danube, VIIe siècle av. J.-C. -VIe siècle apr. J.-C., Ed. Errance, DL, 2002) Les sarmates étaient à leur tour une branche des Scythes, dont les traits mongoloïdes de certains d’entre eux attestent un métissage (Ellis Hovell Minns, Scythians and Greeks, Cambridge University Press, 2011, p. 47).
D’après Anne Ross (« Celtic and Northern Art » [p. 77–106]. In Philip Rawson (éd.), Primitive Erotic Art, G.P. Putnam’s Sons, New York, 1973), une des peintures rupestres datant de 1000 avant notre ère qui ont été mises au jour à Tanum, dans le nord du Böhuslän, sur la côte occidentale de la Suède, représente deux hommes ayant des rapports anaux. Il n’en fallait pas plus à notre poignée d’« historiens » pour y trouver une « preuve » de l’institutionnalisation de l’homosexualité masculine dans la Scandinavie de l’époque. D’autres, plus prudents, indiquent qu’« il se peut que ces gravures sur roche aient un contenu homosexuel » (Timothy L. Taylor, The Prehistory of Sex: Four Million Years of Human Sexual Culture, Bantam, ré-éd., 1997, p. 173). En fait, rien n’établit que les pétroglyphes en question soient l’œuvre de peuples nordiques et la question de savoir à quelle culture ils appartiennent ne semblent pas préoccupés les spécialistes. De plus, les figures que certains identifient à des hommes sont tellement androgynes qu’elles pourraient tout aussi bien représenter deux femmes (voir Riina Hämäläinen, « Bodies on the Rocks: A Gender Archaeological Approach to the Bronze Age Rock Art of Bohuslän, Sweden », consultable à l’adresse suivante : https://www.academia.edu/28175696/BODIES_ON_THE_ROCKS_A_Gender_Archaeological_Approach_to_the_Bronze_Age_Rock_Art_of_Bohuslän_Sweden, consulté le 16 décembre 2016)
Pour être exhaustif, il convient de citer l’extrait suivant du Livre des Lois des Pays, dialogue qui, rédigé en syriaque par un disciple de Bardesane d’Édesse (154 – 222 de notre ère) du nom de Philippe, fut longtemps attribué à ce philosophe hérétique chrétien et dont la première copie date du VII siècle (http://www.uranos.fr/PDF/ETUDES_01B_ND.pdf) : « Dans le nord au contraire, chez les Germains et leurs voisins, les jeunes garçons bien faits sont épousés par les hommes qui font même des festins à cette occasion et cet acte n’entraîne pour eux ni honte ni opprobre à cause de leur loi. — Il est cependant impossible que l’horoscope de tous ceux qui tombent en Gaule dans cet opprobre comprenne Mercure avec Vénus dans la maison de Saturne, dans les confins de Mars et dans les signes du zodiaque situés (alors) à l’occident, car il est écrit que les hommes qui naissent dans ces conditions se prostitueront comme des femmes. » (F. Nau, Bardesanes. Le Livre des Lois des Pays, Leroux, 1899). Cet extrait appelle deux commentaires, le premier d’ordre linguistique, le second d’ordre socio-culturel. D’abord, la caractérisation que fait Philippe de l’attitude des Orientaux de l’époque à l’égard de l’homosexualité (« Dans tout l’Orient, ceux qui se souillent et sont connus [comme tels] sont tués par leurs pères et leurs frères, bien souvent aussi les lois des Orientaux ne leur accordent pas de tombeaux ») est tellement contraire à la réalité (« L’homosexualité était très répandue à l’époque de la Bible et l’est restée au Moyen-Orient jusqu’à aujourd’hui… elle n’était absolument pas désapprouvée par la coutume » (Raphael Patai, Sex and the Family in the Bible and the Middle East, Doubleday & Co., Garden City, N.Y., 1959, cité in Wayne R. Dynes (éd.), Encyclopedia of Homosexuality, vol. 2, Routledge Revivals, 2016, p. 916) qu’il est permis de douter qu’un observateur aussi peu au fait des mœurs des Orientaux ait connu davantage les coutumes des « Occidentaux ».
Ensuite, cet extrait, entre autres, a été traduit en grec par Eusèbe de Césarée dans sa Préparation évangélique (VI, 10) (Alexander Roberts et Sir James Donaldson, Ante-Nicene Christian Library, vol. 22, T/ & T. Clark, Édimbourg, 1871, p. 105) et la première phrase y est rendue par : « Dans le nord au contraire, dans le pays des Gaules et chez leurs voisins… » ; elle l’est également en ces termes dans la traduction anglaise (Alexander Roberts, James Donaldson et A. Cleveland Coxe, Ante-Nicene Fathers, vol. 8, Christian Literature Publishing Co., Buffalo, NY, 1886) et dans la révision qu’en a faite Kevin Knight, publiée à http://www.newadvent.org/fathers/0862.htm. Nau indique curieusement dans la note correspondante : « MM. Merx et Hilgenfeld (auteurs des deux traductions allemandes de l’ouvrage de Philippe ; respectivement, Bardesanes von Edessa; nebst einer Uniersuchung iiber das Verhaeltniss der Clementinischen Recognitionem zu dem Buche der Gesetze der Laender, Halle, 1863 et Bardesanes der letzte Gnostiker, Leipzig, 1864 [N.D.E.]) se sont demandé si l’on ne pourrait pas supprimer les Germains dans ce passage. — Nous croyons qu’ils y figurent au même titre que les Gaulois. » « Nous croyons » ? Manifestement, la traduction du mot syriaque correspondant pose problème.
Pour en venir précisément aux Gaulois, deux témoignages du 1er siècle avant notre ère confirment l’existence de l’homosexualité parmi eux. Le premier est de Diodore de Sicile (Histoire Universelle, V, 21) : « Quoique les femmes soient parfaitement belles, ils ne vivent avec elles que rarement, mais ils sont extrêmement adonnés à l’amour criminel de l’autre sexe et couchés à terre sur des peaux de bêtes sauvages, souvent ils ne sont point honteux d’avoir deux jeunes garçons à leurs côtés. Mais ce qu’il y a de plus étrange, c’est que sans se soucier en aucune façon des lois de la pudeur, ils se prostituent avec une facilité incroyable. Bien loin de trouver de vicieux dans cet infâme commerce, ils se croient déshonorés si l’on refuse les faveurs qu’ils présentent. » Le second, de seconde main, est de Strabon, (III, 4,6) : « s’il faut en croire un bruit très répandu, tous les Gaulois seraient d’humeur querelleuse ; on assure de même qu’ils n’attachent aucune idée de honte à ce que les garçons prostituent la fleur de leur jeunesse. »
En ce qui concerne les « Celtes », les choses se présentent différemment. Au IVe siècle avant notre ère, Aristote (Politique, II, VI, 7) explique que, « avec quelques autres nations, les Celtes », « dit-on, honorent ouvertement l’amour viril. C’est une idée bien vraie que celle du mythologiste qui, le premier, imagina l’union de Mars et de Vénus ; car tous les guerriers sont naturellement enclins à l’amour de l’un ou de l’autre sexe. » Mais citons le paragraphe de Politique dans son entier : « Le relâchement des lois lacédémoniennes à l’égard des femmes est à la fois contraire à l’esprit de la constitution et au bon ordre de l’État. L’homme et la femme, éléments tous deux de la famille, forment aussi, l’on peut dire, les deux parties de l’État : ici les hommes, là les femmes ; de sorte que, partout où la constitution a mal réglé la position des femmes, il faut dire que la moitié de l’État est sans lois. On peut le voir à Sparte : le législateur, en demandant à tous les membres de sa république tempérance et fermeté, a glorieusement réussi à l’égard des hommes ; mais il a complètement échoué pour les femmes, dont la vie se passe dans tous les dérèglements et les excès du luxe. La conséquence nécessaire, c’est que, sous un pareil régime, l’argent doit être en grand honneur, surtout quand les hommes sont portés à se laisser dominer par les femmes, disposition habituelle des races énergiques et guerrières. J’en excepte cependant les Celtes et quelques autres nations qui, dit-on, honorent ouvertement l’amour viril. C’est une idée bien vraie que celle du mythologiste qui, le premier, imagina l’union de Mars et de Vénus ; car tous les guerriers sont naturellement enclins à l’amour de l’un ou de l’autre sexe. » Comme l’a très justement fait observer F. Nau (op. cit., p. 49), Aristote attribue la pédérastie « aux Celtes, en vertu d’un rigoureux syllogisme : Les guerriers, dit-il, sont portés au commerce des femmes et des hommes, or, les Celtes sont guerriers, donc… » Il y a certainement du vrai dans cette remarque.
A la fin du IIe siècle de notre ère, Athénée de Naucratis (Deipnosophistes, XIII, 79) présente l’homosexualité comme une pratique générale chez les « Celtes » et un fait de notoriété publique : « On sait que, parmi les barbares, les Celtes, qui possèdent pourtant des femmes magnifiques, ont une préférence pour les garçons, de sorte qu’on voit beaucoup d’entre eux coucher avec deux mignons à la fois sur leurs lits en peaux de bêtes ». Du moins est-ce ainsi que le traducteur la présente. « Le premier traducteur de l’ouvrage en français la généralisait déjà moins : « D’entre les barbares, les Celtes, bien qu’ils eussent de très belles femmes, se plaisoient néanmoints davantage à l’amour des garçons ; & et de telle sorte, que quelques-uns d’entre eux couchoient souvent sur des peaux fourrées qui leur servoient de lits, avec deux jeunes innocents » (Les quinze livres des Déipnosophistes, 1680, p. 896). La traduction anglaise (in Peter Berresford Ellis, Celtic Women: Women in Celtic Society and Literature, William B. Eerdmans Pub. Co., 1996, p. 125) dit aussi « quelques-uns » (« some ») (Naucratis est-il digne de foi ? Il est certain qu’au moins une des autres anecdotes qu’il raconte sur la vie sexuelle des grands personnages est sujette à caution : « Le roi Alexandre, écrit-il, était aussi un grand amateur de beaux garçons. Dans son livre sur le sacrifice à Ilion, Dicéarchos avoue même qu’il fut tellement épris de l’eunuque Bagoas que, au milieu d’une représentation théâtrale, il se pencha vers lui et l’embrassa tendrement : aussitôt, les spectateurs applaudirent à chaudes mains, en signe d’approbation, ce qui incita le roi à embrasser de nouveau Bogoas. » (XIII, 80) En effet, le témoignage suivant de Plutarque (Sur la Fortune d’Alexandre, I, 12) va à l’encontre du portrait que Naucratis dresse du roi de Macédoine : « … un jour que Philoxène, chef des troupes du littoral, lui avait écrit qu’il se trouvait en Ionie un jeune garçon charmant et beau comme nul autre, et lui avait demandé s’il fallait le lui faire venir, Alexandre… répondit sévèrement : « O le plus corrompu des hommes, de quelle abominable action me sais-tu donc coupable, toi qui veux me séduire par l’offre de semblables voluptés ? » »)
Qui étaient les « Celtes » auxquels fait allusion l’érudit et grammairien grec ? Tour simplement, qui étaient les « Celtes » ? La question n’a jamais cessé d’être posée depuis que les études celtiques ont pris leur essor dans le dernier quart du XIXe siècle et n’a toujours pas été résolue. Elle est inextricable. Pour notre propos, il suffira de rappeler quelques points essentiels (pour ne pas compliquer encore davantage les choses, nous avons laissé de côté l’aspect terminologique de la question, qui a donné lieu à une abondante littérature sur les emplois respectifs des mots de « Κελτοί », « Γαλάται » et « Celtae »). Premièrement, à l’exception du 1er siècle avant notre ère, où les auteurs latins le restreignirent, l’emploi du terme de keltoi n’a cessé de s’étendre. La première occurrence de ce terme se trouve chez l’auteur grec Hécatée de Millet (549 – 475 avant notre ère), chez qui il désigne exclusivement des peuples établis dans le sud-est de la Gaule, plus précisément dans la périphérie de la colonie grecque de Massalia (Marseille). Au Ve siècle, Hérodote (Histoires, II, 33) les fait venir à la fois de la région où le Danube prend sa source (« L’Ister commence en effet dans le pays des Celtes, auprès de la ville de Pyrène, et traverse l’Europe par le milieu ») et du littoral du sud de l’Espagne (« Les Celtes sont au delà des colonnes d’Hercule, et touchent aux Cynésiens, qui sont les derniers peuples de l’Europe du côté du couchant. L’Ister se jette dans le Pont-Euxin à l’endroit où sont les Istriens, colonie de Milet »), contradiction qui peut être dénouée sans qu’il soit nécessaire postuler que l’auteur grec ait confondu le nom de « Pyrène » avec celui de « Pyrénées », puisque, comme le signale Camille Jullian (« Les Celtes chez Hérodote ». Revue des Études Anciennes, vol. 7, n° 4, 1905, p. 375-392), les Cynésiens auraient également peuplé le littoral atlantique et méditerranéen de la Gaule (C. J. V. Darttey, Recherches sur l’origine des peuples du nord et de l’occident de l’Europe, H. Cousin, Paris, 1839, p. 4). A partir du IVe siècle avant notre ère, les Grecs, peut-être sous l’influence d’Éphore de Cumes (400-330 avant notre ère) (Jean-Louis Brunaux, Les Celtes : Histoire d’un mythe, Belin, 2014, p. 284), pour qui les Keltoi sont, avec les Perses, les Scythes et les Libyens (T.G.E. Powell, The Celts, Thames and Hudson, 1958, p. 17), l’un des quatre grands peuples barbares du monde connus des Grecs, prirent l’habitude de désigner sous le nom générique de Keltoi tous les peuples de l’ouest et du centre du continent européen (Sarunas Milisauskas, European Prehistory: A Survey, Springer, 2012, p. 363). Chez le géographe Ératosthène (276 – 194 avant notre ère) (ibid.), Keltoi caractérise tous les peuples à l’ouest des Alpes. L’astronome et géographe Hipparque de Nicée (v. 190 – v. 120 avant notre ère) semble avoir conçu la Keltiké comme s’étendant jusqu’au cercle arctique (Sharon Turner, The History of the Anglo-Saxons, vol. 1 et 2, Longman, Hurst, Rees, Orme, and Brown., 1823, p. 43), tandis que, selon Plutarque, le pays des Keltoi allait jusqu’à la mer d’Azov (ibid., p. 38 ; voir, pour un examen approfondi et synthétique de toutes les sources antiques relatives à la question de la localisation des Celtes, Simon Pelloutier et Chiniac de La Bastide, Histoire des Celtes, nouv. éd., t. 2, Paris, 1771).
Un coup d’arrêt à cette tendance à celtiser tout ce qui n’était ni romain ni grec fut donné à partir du 1er siècle avant notre ère. « Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois » (« Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur »), écrit César (La Guerre des Gaules, I, 1) « qui nous apprend qu’en gaulois Celta désigne, non pas l’ensemble des Celtes continentaux, mais le rameau de la race celtique établi entre la Garonne, la Seine et la Marne à l’époque où commence la conquête de la Gaule transalpine, l’an 58 avant notre ère » (Hubert d’Arbois de Jubainville, Introduction à l’étude de la littérature celtique, 1882, Librairie Thorin, Paris, p. 10-11, consultable à l’adresse suivante : http://www.arbredor.com/ebooks/LitteratureCeltique.pdf, consulté le 10 décembre 2016. Au IIe siècle de notre ère, Pausanias IV, 1, 4 indiquera que « Celtes est le nom que ces peuples se donnaient anciennement eux-mêmes et que les autres leur donnaient aussi », en précisant que ces peuples se limitent à ceux qui « habitent aux extrémités de l’Europe, près d’une vaste mer dont les navires ne peuvent atteindre les limites ». Toujours au 1er siècle avant notre ère, Strabon et Diodore de Sicile situeront les Keltoi à peu près dans la même région que celle où Hécatée de Millet avait indiqué qu’ils résidaient (**). De même, Posidonios (135 – 51 avant notre ère), dont Strabon et Diodore résumèrent certaines des études sur la Gaule, verra dans la Narbonnaise le cœur de la Keltiké, dont la situation ethnique était, c’est un point très important, « assez complexe », étant donné que « s’y rencontraient diverses influences méditerranéennes (ibères, ligures, grecques, carthaginoises, romaines) » (Venceslas Kruta, Les Celtes, coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 2012) et que toutes ces populations avaient subi depuis longtemps l’influence des « Grecs » d’Asie Mineure qu’étaient les Phocéens (Napoléon III, Histoire de Jules César, t. 2, Henri Plon, Paris, 1866, p. 20), qui avaient fondé Massalia en 600 avant notre ère.
Non moins divers du point de vue de l’ethnie étaient les peuples, disséminés dans une aire géographique triangulaire dont la pointe était formée par la Bohême et la base par une ligne allant de l’Irlande au centre de l’Espagne, qui sont aujourd’hui englobés sous le vocable de « Celtes ». Les Germains, grands et blonds, dolichocéphales y côtoyaient des peuples de taille petite ou moyenne, bruns, velus, brachycéphales, comme les Gaëls, les Aquitains, les Valaques, Ligures, les Gallois, etc… En ce qui concerne la Gaule, les différences qui existaient entre les trois peuples qui, selon César, y résidaient n’étaient pas uniquement d’ordre physique : « Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. » (voir, au sujet de cet extrait de la Guerre des Gaules, « Histoire des Gaulois, depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’entière soumission de la Gaule à la domination romaine, par M. Amédée Thierry, membre de l’Institut. 3e édition, revue et augmentée. – Paris, Jules Labitte, 1844 ». In Joseph Adolphe Aubenas et Emmanuel Miller (éd.), Revue de bibliographie analytique, t. 6, mai 1845, p. 432-445 ; Christian Koch, « Qu’est-ce que la Gaule et les Gaulois dans l’œuvre ‘De Bello Gallico’ de César » ? GRIN Verlag, 2008, consultable à l’adresse suivante : http://www.hausarbeiten.de/faecher/vorschau/110987.html, consulté le 16 décembre 2016 ; voir, au sujet des infidélités au texte de César dans les observations du géographe du Pont sur la Gaule (IV, 4), qu’il connaissait principalement au travers de la Guerre des Gaules, les fines remarques de Claude Charles Fauriel, Dante et les origines de la langue et de la littérature italiennes, vol. 2, Auguste Durand, Paris, 1854, p. 158 et sqq). S’agissant des îles britanniques, des recherches génétiques récentes ont montré que les « Celtes » ne sont pas un groupe génétique homogène (Pallab Ghosh, DNA study shows Celts are not a unique genetic group, BBC News, http://www.bbc.com/news/science-environment-31905764)
A la lumière de ce nécessaire survol de la question « celte », « dénomination qui ne (semble) … avoir qu’un sens vague, indéterminé, ne s’appliquant à aucun peuple particulier, à aucune race distincte » (G. Lagneau, Distinction ethnique des Celtes et des Gaëls et de leur migration au Sud des Alpes, Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris, vol. 11, n° 1, 1876 [p. 128-145], p. 32), tout en s’appliquant à une mosaïque de peuples, voire de races, l’affirmation selon laquelle « … parmi les barbares, les Celtes, qui possèdent pourtant des femmes magnifiques, ont une préférence pour les garçons, de sorte qu’on voit beaucoup d’entre eux coucher avec deux mignons à la fois sur leurs lits en peaux de bêtes » a-t-elle toujours la même valeur et même sens ?
(*) Le mot et le concept de Männerbund ont donné lieu à un grand nombre de malentendus, qu’il convient de lever,en démystifiant leur origine. Dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle se formèrent des « sociétés d’hommes ». Stefan Georg était idolâtré par un cercle de poètes et de critiques ouvertement homosexuels. En 1903, le sexologue, sociologue, économiste et volcanologue juif Benedict Friedländer (1866–1908) fonda, avec l’écrivain anarchiste Adolf Brand (1874–1945) – il milite alors pour la reconnaissance de la bisexualité et de l’homosexualité masculine – et une dizaine d’autres homosexuels, l’organisation homosexuelle Gemeinschaft der Eigenen (GdE) (« La communauté des Spéciaux »), nommée ainsi d’après la notion d’indépendance de l’« Unique » (la personne) du philosophe libertarien Max Stirner. Par opposition à Magnus Hirschfeld, pour qui l’homosexuel était un homme féminin, le GdE mettait l’accent sur la masculinité de l’homosexuel, comme le fera Gide dans Corydon en 1924. Certains de ses membres, se référant à une Grèce antique tout droit sortie de leur imagination, rêvaient d’institutionnaliser la pédérastie, tandis que d’autres aspiraient à recréer les « amitiés littéraires » qu’avaient entretenues les écrivains du romantisme allemand à la fin du XVIIIe siècle (voir Harry Oosterhuis et Hubert Kennedy (éds.), Homosexuality and Male Bonding in Pre-Nazi Germany, chap IV : « Eros and Male Bonding in Society », Routledge, New York – Londres, 2013). Friedländer, membre du Wissenschaftlich-humanitäres Komitee, organisation de défense des droits des homosexuel(le)s, des bisexuel(le)s et des transgenres créée en 1897 par le médecin juif Magnus Hirschfeld, était en désaccord avec lui sur la nature de l’homosexualité masculine comme sur la stratégie à adopter pour faire avancer leur cause et il refusa de s’associer aux efforts que déployaient Hirschfeld pour sceller une alliance avec les Sociaux-Démocrates et le mouvement féministe. A ce dernier égard, leur désaccord n’était pas uniquement d’ordre stratégique, car sa conception de la société rejoignait celle qui avait été exposée par Heinrich Schurtz (1863–1903) dans Alter Klassen und Mannerbünde. Eine Darstellung der Grundformen der Gesellschaft (Berlin, Georg Reimer, 1902 ; c’est cet ethnographe qui forgea l’expression de « Mannerbünde ») : la femme, exclusivement mue par l’instinct de procréation, ne pouvait avoir une force formatrice que sur la famille. Seul l’homme, gouverné par deux instincts primaires, à savoir l’instinct sexuel et l’instinct social, était capable de créer et de maintenir des institutions politiques (Harry Oosterhuis et Hubert Kennedy [éds.], op. cit.). Alors que la « sympathie instinctive » entre les hommes que Schurtz plaçait à l’origine de toute civilisation n’avait à ses yeux aucun caractère érotique, Friedländer affirma que les organisations sociales supérieures à la famille ne pouvaient pas exister, si les hommes n’avaient de relations sentimentales et érotiques qu’avec les femmes (ibid.). L’interprétation du concept schurtzien de Männerbund par Friedländer était tendancieuse, mais, rétrospectivement, il faut bien avouer qu’il se prêtait à être déformé, car il était fondé sur des études ethnographiques de populations primitives originaires d’Amérique du Nord, d’Afrique de l’Ouest et de Mélanésie (N. W. Thomas, « Compte rendu d’Altersklassen und Männerbünde, Eine Darstellung der Grundformen der Gesellschaft by Heinrich Schurtz », Folklore, vol. 15, N° 1, mars 1904, p. 108-113) et, comme nous le savons aujourd’hui, les comportements homosexuels ont toujours été très répandus parmi ces populations. Le concept de Männerbund homosexuel fut popularisé par Hans Blüher dans Die deutsche Wandervogelbewegung als erostisches Phänomen (1912), ouvrage qui eut immédiatement un grand retentissement et dans lequel il soutenait que l’érotisme homosexuel était essentiel à la cohésion et à la popularité du mouvement Wandervogel, dont il avait été lui-même un des premiers membres et dont il avait été exclu – temporairement – pour homosexualité (Robert Beachy, « Compte rendu de Claudia Bruns, Politik des Eros: Der Männerbund in Wissenschaft, Politik und Jugendkultur (1880–1934)« , Böhlau Verlag. Cologne – Weimar – Vienne, 2008, p. 331). Il faudra attendre la fin des années 1910 pour que des chefs de section du Wandervogel osent plaider ouvertement la cause de la pédérastie (Joachim Münster, Sur le chemin des enfants. L’Éros blühérien dans le mouvement allemand de la jeunesse, Gaie France, n°8 (décembre 1987 – janvier 1988, p. 25-29). Die deutsche Wandervogelbewegung als erostisches Phänomen, fondé sur les expériences de jeunesse de Blüher dans le mouvement Wandervogel, fut influencé, en ce qui concerne l’apparat théorique, par les écrits de Sigmund Freud (il décrivit sa rencontre avec eux comme une « véritable illumination », voir Jay Geller, « Freud, Blüher, and the Secessio Inversa : Männerbünde, Homosexuality, and Freud’s Theory of Cultural Formation ». In Daniel Boyarin, Daniel Itzkovitz etAnn Pellegrini (éds.), Queer Theory and the Jewish Question, Columbia University Press, New York – Chichester, West Sussex, 2003, p. 96) et de Friedländer (voir Harry Oosterhuis et Hubert Kennedy [éds.], op. cit.). Paradoxalement, Blüher se prétendait antisémite ; moins bizarrement, son antisémitisme s’accentua à partir du moment où les conservateurs émirent publiquement des doutes sur sa qualité d’Allemand de pure souche. « En réponse, Blüher adopta une stratégie d’autodéfense basée sur la notion de pureté raciale et, en dépit du soutien qu’il avait d’abord apporté à des psychiatres et à des sexologues juifs, il devint de plus en plus antisémite après 1912… Blüher parfit sa théorie du Männerbund pendant la Première Guerre mondiale et répondit à l’hostilité des Conservateurs à l’homosexualité par un antisémitisme et une misogynie toujours plus virulents. Dans son Die Erotik der männlichen Gesellschaft en deux volumes publié en 1917 et 1919, Blüher « germanisa » le Männerbund, en expliquant que l’homosexualité virile était un phénomène typiquement allemand et en dénonçant les Juifs comme un corps étranger incapable de contribuer à l’État allemand. Les écrits de Blüher des années 1920… firent de lui un des antisémites les plus connus de la période de Weimar. Sa théorie du Männerbund inspira le mouvement bündisch et les opposants antidémocratiques à la République de Weimar… Blüher fut parmi les premiers à utiliser l’expression « konservative Revolution » en 1918… » (Robert Beachy, op. cit., p. 332). non seulement il « fut parmi les premiers à utiliser l’expression « konservative Revolution » en 1918… », mais il fut considéré comme l’un des principaux penseurs de la konservative Revolution par Armin Mohler, historien de ce mouvement (Die Konservative Revolution in Deutschland 1918–1932. Ein Handbuch) et secrétaire particulier d’Ernst Jünger. Ce n’est pas un hasard si Blüher est le seul militant homosexuel de l’époque à être cité par Himmler dans son Discours au Gruppenführer sur l’homosexualité (https://elementsdeducationraciale.wordpress.com/2014/12/31/discours-au-gruppenfuhrer-sur-lhomosexualite/). La chasse aux homosexuels était une telle priorité pour les dirigeants nationaux-socialistes qui n’étaient pas homosexuels que, en juillet 1944, alors que près de sept mille Allemands avaient déjà été reconnus coupables d’homosexualité, des homosexuels étaient toujours traduits en justice en Allemagne (Jeremy Noakes, Nazism, 1919-1945, vol. 4, University of Exeter Press, Exeter, 1998, p. 392 ; trois ans plus tôt, le 21 août 1941, Hitler avait fustigé, en exigeant qu’il soit combattu « avec une rigueur impitoyable » [« rücksichtslose Strenge »], le « fléau de ‘homosexualité » [« die Pest der Homosexualität »] dans la Wehrmacht et dans le NSDAP au cours d’une réunion de consultation à son quartier-général, dont le mémorandum ne semble pas nous être parvenu ; Günter Grau, Claudia Schoppman, Homosexualität in der NS-Zeit: Dokumente einer Diskriminierung und Verfolgung, Fischer Taschenbuch Verlag, 1993, p. 211) ; bien informé, il était conscient de l’influence des conceptions de Blüher sur toute une partie des intellectuels et sur la jeunesse ; lorsqu’il constatait « cet État d’hommes est sur le point d »être détruit à cause de l’homosexualité », il visait autant les canaux de propagation de l’idéologie homosexuelle que la pratique en elle-même et ceux qui s’y adonnaient.
Réagir contre l’emprise des femmes et des valeurs juives sur la famille allemande et contre la féminisation de la vie sociale qui en résulte, en théorisant le Männerbund comme le fondement du politique, comme le faisait Blüher (Jay Geller, op. cit., p. 94) allait dans le bon sens ; le faire au nom d’une vision homosexuelle de l’homme, qui était propagée simultanément par des médecins et des sexologues juifs, était une aberration. La thèse, que ses propagateurs, comme Neill, présentent comme un fait établi, selon laquelle une initiation basée sur des pratiques homosexuelles était la condition nécessaire à l’admission des jeunes garçons dans les confréries de guerriers aryens repose en grande partie sur l’ouvrage de Stig Wikander intitulé Der arische Männerbund. Studien zur indo-iranischen Sprach- und Religionsgeschichte (Lund, Håkan Ohlssons Buchdruckerei, 1938) et plus précisément sur l’association, qu’il fut le premier à oser – entre le terme « arische » et celui de « Männerbund » – la description que l’indianiste, iranologue et historien des religions suédois fait de ces confréries est en partie fantaisiste, puisque, sans aller jusqu’à parler d’homosexualité rituelle à leur sujet, il attribue à leur culte certaines des caractéristiques des cultes des peuples pré-indo-européens indigènes (« des sacrifices rituels orgiastiques », « une attitude positive à l’égard des forces sombres et démoniques de la vie » ; voir Michael Cooperson, « Bandits ». In Robert Gleave et István Kristo-Nagy, Violence in Islamic Thought from the Qur’an to the Mongols, Edimburgh University Press, Edimbourg, 2015, p. 197. Les Maruts, dont il fait des bandes de jeunes guerriers aryens, étaient en réalité une peuplade indigène (Padmacandra Kāśyapa, Living Pre-Rigvedic and Early Rigvedic Traditions of Himalayas, Pratibha Prakashan, 2000, p. 184 ; quant aux Maryannu (du sanskrit « marya » : « jeune héros »), élite de guerriers à char qui fonda le royaume de Mitanni entre la boucle de l’Euphrate et le cours supérieur du Tigre au XVe siècle avant notre ère et dont les membres portaient des noms indo-iraniens (William H. Stiebing Jr, Ancient Near Eastern History and Culture. 2e éd., Routledge, Londres – New York, p. 112), ils ne constituaient nullement un Männerbund (Armin Lange, Light Against Darkness: Dualism in Ancient Mediterranean Religion and the Contemporary World, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2011, p. 88).
(**) Dion Cassius (v. 155 – ap. 235 de notre ère) (Histoire romaine, XXXIX, 49) donna le nom de Celtes aux seuls Germains. L’incohérence avec laquelle cet auteur identifie les différents peuples qui peuplaient alors l’Europe de l’Ouest (voir John Eadie, A Commentary on the Greek Text of the Epistle of Paul to the Philippians, Edimbourg – Londres – Dublin, T. & T. Clark – Hamilton & Co – John Robertson and Co, 1869, p. xxi) n’autorise pas accorder le moindre crédit à son témoignage.
(ix bis) Contrairement à une opinion universellement admise, « il n’existe absolument aucune preuve, littéraire ou autre, d’une quelconque pédérastie à Sparte avant la fin du Ve siècle avant notre ère » (Paul Cartledge, Spartan Reflections, University of California Press, Berkeley – Los Angeles, 2003, p. 102). De la part d’un auteur qui avait intitulé une de ses conférences « Sodom in Sparta » vingt ans plus tôt, cet aveu a un poids considérable. A fortiori, la pédérastie ne fut jamais « institutionnalisée » à Sparte, comme l’affirme sans preuve aucune William A. Percy III dans Pederasty and Pedagogy in Archaic Greece (University of Illinois Press, Urbana – Chicago, 1998), un des ouvrages qui, avec ceux de Foucault et Éros adolescent : la pédérastie dans la Grèce antique (Les Belles Lettres, Paris, 1980) de l’abbé Félix Buffière, a contribué pour beaucoup à la propagation dans le grand public du mythe d’une Sparte homosexuelle, faisant fi de République des Lacédémoniens (II, 12) : « Je crois aussi devoir parler des amours des garçons, point qui rentre dans l’éducation des enfants. Chez quelques peuples de la Grèce, comme chez les Béotiens, un homme fait se lie d’un commerce intime avec un garçon, ou bien, comme chez les Éléens, c’est par des présents qu’on obtient les faveurs de la jeunesse ; ailleurs, il n’est pas môme permis aux soupirants d’adresser la parole aux garçons. Lycurgue avait encore sur cet objet des principes opposés. Quand un homme comme il faut, épris de l’âme d’un garçon, aspirait à s’en faire un ami sans reproche et à vivre près de lui, il l’encourageait et estimait cette société belle entre toutes. Mais quiconque ne semblait épris que du corps, il le déclarait infâme ; et il fit ainsi qu’à Lacédémone les amants ne s’abstenaient pas moins d’un commerce amoureux avec les garçons que les parents avec leurs enfants, les frères avec leurs frères. » Il est révélateur à cet égard qu’aucune œuvre d’art traitant de l’érotisme homosexuel n’ait été retrouvée à Sparte, alors que les fouilles en ont mises au jour dans les autres cités grecques (Helena P. Schrader, Leonidas of Sparta: A Boy of the Agoge, Wheatmark, Tucson, AZ, 2010, p. 24 ; l’abbé Buffière a bien de la peine à en produire une poignée d’illustrations dans le chapitre 7 de « Éros adolescent : la pédérastie dans la Grèce antique » : « Miroir de la pédérastie athénienne ». Sur les 80 000 vases mis au jour jusqu’à présent dans l’Attique, une trentaine représentent de manière allusive des pratiques homosexuelles, qui, de plus, sont accomplies uniquement par des satyres. « Miroir de la pédérastie athénienne » ou miroir des propres fantasmes de l’abbé ? Voir Adonis Georgiades, Homosexuality in Ancient Greece. The Myth is Collapsing, Georgiades, Athènes, 2004, p. 127, consultable à l’adresse suivante : https://ia601908.us.archive.org/35/items/AdonisGeorgiadesHomosexualityInAncientGreeceTheMythIsCollapsing/Adonis%20Georgiades%20Homosexuality%20in%20Ancient%20Greece%20-%20The%20Myth%20is%20Collapsing.pdf, consulté le 12 décembre 2016 ; l’ouvrage a fait l’objet d’une vidéo qui en reprend les grandes lignes : https://www.youtube.com/watch?v=J-g53NYkcCU). Hérodote, premier auteur à avoir mentionné l’agōgē, institution spartiate dont on laisse entendre que Xénophon aurait affirmé qu’elle était fondée sur la pédérastie, ne fait aucune allusion à l’homosexualité, « éducative » ou autre, que, nous dit-on, les auteurs comiques attiques auraient imputée alors aux Spartiates : de quels auteurs comiques s’agit-il ? Comment peut-on soutenir sur la base de République des Lacédémoniens (II, 12) que la pédérastie était pratiquée dans l’agōgē, alors que Xénophon dit précisément le contraire ? Comment Plutarque peut-il être décemment présenté comme une source attestant du caractère institutionnel de l’homosexualité à Sparte, alors qu’il déclare : « Il était permis chez eux de s’attacher à des jeunes gens d’un heureux naturel , mais ils regardaient comme une infamie de concevoir pour eux un amour criminel » (Apophtegmes des Lacédémoniens, 237c) (voir, au sujet des auteurs français des Lumières qui ont fait « dire aux auteurs antiques tout le contraire de ce qu’ils ont dit », entre autres sur l’homosexualité dans le monde gréco-romain, Jeremy Bentham, Essai sur la pédérastie, GKC, Paris, 2002, le premier essai érudit jamais rédigé en langue anglaise sur l’homosexualité : édifiant ; voir, au sujet de la falsification de citations dans le but de démontrer l’existence d’une homosexualité institutionnalisée dans la Grèce antique, http://freedomoutpost.com/examples-distortion-history-homosexuality-sexual-perverts-wikipedia/)
En ce qui concerne la question de l’homosexualité dans la Grèce antique en général, il a été observé que « (l)a plupart des sources écrites sur Sparte proviennent des autres cités grecques, où la pédérastie était de rigueur dans l’élite » (Paul Chrystal, In Bed with the Ancient Greeks, Amberley Publishing, 2016) et que, dans la Grèce de l’époque classique, l’homosexualité et la pédérastie étaient vues comme des éléments du mode vie sophistiqué des classe supérieures (Earl .E. Shelp (éd.), Sexuality and Medicine: Volume II: Ethical Viewpoints in Transition, D. Reidel Publishing Company, Dordrecht – Boston – Lancaster – Tokyo, 2012) par les grecs moyens, qui condamnaient ces deux pratiques (Plinio Prioreschi, A History of Medicine: Greek medicine, Horatius Press, 1996, p. 48). Robert Flacelière (L’Amour en Grèce, Hachette, 1971) , le premier à avoir introduit cette distinction, était sensiblement moins affirmatif : « Il semble hautement probable que l’homosexualité ait été confinée aux couches aristocraties et prospères de l’ancienne société » (traduit d’après Love in Ancient Greece, » trad. par James Cleugh, Frederick Muller Ltd., Londres 1962). Il rappelle que l’homosexualité était illégale dans la plupart des cités grecques et observe que le thème de la pièce d’Aristophane Lysistrata montre, tout comme la grande popularité des hétaïres, que l’homosexualité ne pouvait guère être endémique dans le peuple. L’homosexualité et la pédérastie sont absentes de la littérature homérique. Suivant les experts de la question de l’homosexualité dans la Grèce antique, elles seraient « implicites ». Il faut dire que la quasi totalité des ces « experts » sont des homosexuels. Selon le scholiaste d’Eschyle (sept. Theb., 81), Laios, père d’OEdipe, fut le premier parmi les Grecs à se livrer à la pédérastie (Louis Ferdinand Alfred Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, vol. 3, Ladrange, 1859, Paris, p. 38), « lorsqu’il fut invité par Pélops », jeune homme imberbe que les vases montrent souvent vêtu d’un habit oriental (tunique tachetée et bonnet phrygien) » (Pierre Cuvelier, Le mythe de Pélops et d’Hippodamie en Grèce ancienne : cultes, images, discours, thèse de doctorat, Université de Poitiers, 2012, p. 4). Pélops était originaire de Phrygie (Hérodote, VII, 8), terre de la déesse mère Cybèle. L’origine exotique de l’homosexualité est ainsi clairement suggérée par le mythe.

(1) Jaquetta Hawkes et Sir Leonard Woolley, Prehistory and the Beginnings of Civilization, Harper & Row, New York, 1963, p. 218.
(2) Joseph Campbell, The Masks of God: Primitive Mythology, Penguin Books, New York, 1969, p. vii.
(3) Jaquetta Hawkes et Sir Leonard Woolley, op. cit., p. 242.
(4) Ibid., p. 371.
(5) Vern L. Bullough, Sexual Variance in Society and History, John Wiley & Sons, New York, 1976, p. 55 ; David F. Greenberg, The Construction of Homosexuality, University of Chicago Press, Chicago, 1988, p. 126.
(6) Vern L. Bullough, op. cit., p. 54–55.
(7) David F. Greenberg, op. cit., p. 124–126.
(8) Ibid., p. 126.
(9) Vern L. Bullough, op. cit., p. 56.
(10) Ibid.
(11) David F. Greenberg, op. cit., p. 127 note.
(12) Ibid., p. 126–127.
(13a) De plus, le terme de « gala » est un homophone de « gal-la », « vulve ».
(13b) La commercialisation prochaine de robots sexuels (http://www.mirror.co.uk/news/world-news/sex-robots-warm-skin-intimate-8985045) qui, cela va sans dire, « pourraient même avoir des effets positifs sur les relations » – … humaines ? – doit être comprise à la lumière des remarques suivantes sur l’étymologie du mot de « kurgarru » et des termes connexes : « Nombreuses sont dans les textes sumériens les créatures qui en sont manifestement pas humaines. Elles sont décrites comme n’étant « ni masculines ni féminines », c’est-à-dire comme androgynes. La plupart des traductions contournent le problème, en traduisant leurs noms par « eunuques ». Mais ce terme n’est pas satisfaisant, car les textes disent clairement qu’ils ne boivent pas et ne mangent pas, qu’ils n’ont pas d’émotions et n’ont pas de vie de famille. Il est évident que ces créatures n’ont aucune qualité humaine, qu’elles ont au contraire la passivité et le caractéristiques des machines… Cinq d’entre elles sont mentionnés dans la liste de « me » (le terme de « me » signifie « énergie, « pouvoir », « puissance » en sumérien [N.D.E.]) qu’Ishtar a reçus d’Enki. Ces robots portent respectivement le nom de Kurgarru, Galatur, Sagursag, Girbadara et Galla. Aucun de ces mots sumériens n’a d’équivalent en anglais. Ils ne sont généralement pas traduits pour la simple raison que personne n’en connaît le sens exact et comment les rendre dans les langues modernes. D’autres termes également difficiles à traduire semblent désigner des créatures artificielles – les Lilis, Ub, Mesi et Ala ont été appelés « démons ». Ces démons étaient apparemment très nombreux et importunaient et opprimaient les Mésopotamiens. Kurgarru était une des créatures qu’Enki avait produites pour pénétrer dans le royaume des morts et sauver Ishtar. « Créature ni masculine ni féminine », il avait été conçu pour pénétrer dans le royaume des morts « par les fissures de (s)a porte », en d’autres termes par des moyens détournés. N’étant ni humain ni divin, il n’était pas soumis aux règles draconiennes imposées par les « me » pour entrer et sortir le royaume des morts et pouvait se déplacer à sa guise. Kurgarru, ou Kurgurru, figure parmi les « me » qu’Ishtar reçus d’Enki. Une étude des éléments qui forment le terme de « kurgarru« , ou « kurgurru« , indique qu’il peut être traduit par « robot métallique brillant ». « Kur » a souvent la sens de « puissant » et, dans son sens second, il désigne les monstres du royaume des morts. « Gur » signifie « être mobile », ou « se déplacer » ; « ma-gur » désigne le moyen de transport qu’utilise Enki pour parcourir les canaux des fleuves de la Mésopotamie. « Ra » signifie « brillant », s’agissant d’un métal. Il est possible que « garra » soit une forme, ou une corruption, de « galla« , qui signifie, d’après ce que nous venons de dire, « homme mécanique ». » (R. A. Boulay, Flying Serpents and Dragons: The Story of Mankind’s Reptilian Past, éd. Revue et augmentée, 1999, The Book Tree, Escondido, p. 253). Il est à noter que les Sumériens attribuaient des « me », ou « pouvoirs », aux « pierres », terme qui, dans les langues sémitiques, désignent les gemmes et en particulier les cristaux de quartz. Selon la Haggadah, ou cérémoniel des deux premières soirées de Pâque, texte juif compilé à la même époque que la Mishna et le Talmud, les cinq pierres que David choisit pour affronter Goliath (ibid., p. 237) étaient dotées de pouvoirs magiques.
(13c) Will Roscoe, “Precursors of Islamic Homosexualities”. In Stephen O. Murray (éd.), Islamic Homosexualities, Garland Publishing, New York, p. 65.
(14) David F. Greenberg, op. cit., p. 97 [A Sumer, les prêtresses étaient appelées assinutum », forme féminine d’« assinu », en raison du fait que, pour ne pas tomber enceinte, elles se limitaient à des rapports anaux. Ibid., p. 97 [N.D.E.])
(15) Jaquetta Hawkes et Sir Leonard Woolley, op. cit., p. 334–44 ; voir aussi Marijas Gimbutas, The Goddesses and Gods of Old Europe: Myths and Cult Images, University of Califormia Press, Berkeley, 1982, p. 112–215.
(16) Joseph Campbell, op. cit., p. 36–37.
(17) James Mellaart, Catal Huyuk, McGraw-Hill, New York, 1967, p. 23–24 ; voir aussi Jaquetta Hawkes et Sir Leonard Woolley, op. cit., p. 218–227.
(18) Jaquetta Hawkes et Sir Leonard Woolley, op. cit., p. 218–227 ; Joseph Campbell, op. cit., p. 36–45.
(19) Riane Eisler, The Chalice and the Blade: Our History, Our Future, Harper Collins, San Francisco, 1988, p. 56–58 (il est nécessaire de rappeler ici, la formulation maladroite de l’auteur pouvant prêter à confusion, qu’il n’est, dans le vocabulaire indo-européen, aucun nom désignant la déesse mère ou la déesse terre. A l’époque historique, il a existé des peuples dont la langue, d’origine indo-européenne, contenait des termes pour désigner la déesse et qui, de fait, en adoraient une, que ces peuples aient été d’origine indo-européenne, comme les Achéens, les Doriens, les tribus germaniques, ou non, comme les Minoens (Charles Barber, Joan Beal et Philip Shaw, The English Language, 2e éd., Cambridge University Press, 2012, p. 82) Il paraît fort probable que l’adoption de cultes de la déesse mère par les tribus d’origine indo-européenne qui migrèrent vers ce qui est aujourd’hui connu sous le nom d’Europe date de l’époque où elles entrèrent en contact avec les peuples sémitiques, qui, inversement, s’il est permis de faire cette hypothèse de travail, auraient été poussés, par imitation et peut-être par volonté de leur damner le pion, à mettre en avant, ou leurs propres divinités masculines et même une seule d’entre elles, comme dans le cas des monothéismes sémitiques, sachant que ces divinités étaient hybrides plus que masculines, ou des formes masculinisées de leurs divinités féminines [N.D.E.])
(20) Gordon Rattray Taylor, “Historical and Mythological Aspects of Homosexuality”. In Judd Marmor (éd.), Sexual Inversion: The Multiple Roots of Homosexuality, Basic Books, New York, 1965, p. 148–149 ; David F. Greenberg, op. cit., p. 94–100.
(21) Edwin M. Yamauchi, “Cultic Prostitution: A Case in Cultural Diffusion”. In Harry A. Hoffner, Jr. (éd.), Orient and Occident, Verlag Butzon & Bercker Kevelaer, Neukirchen-Vluyn, 1973, p. 214-217.
(22a) Voir, au sujet des sa ziqni et des sa res, Will Roscoe, op. cit.
(22b) Will Roscoe, op. cit., p. 66–67.
(23) Francisco Guerra, The Pre-Columbian Mind, Seminar Press, New York, 1971, p. 91 (voir, pour la traduction française, que nous reprenons ici, Didier Godard, L’autre Faust: l’homosexualité masculine pendant la Renaissance, 2001, p. 19. [N.D.E.])
(24) Raymond de Becker, The Other Face of Love, Grove Press, New York, 1969, p. 8, in Don C. Talayessva, Sun Chief: Autobiography of a Hopi Indian, Leo W. Summons (éd.), Yale College, New Haven, Institute of Human Relations, 1942.
(25) Raymond DeBecker, The Other Face of Love, trad. par Margaret Crosland et Alan Daventry. Grove Press, New York, 1969 p. 7.
(26) David F. Greenberg, op. cit., p. 101.
(27) Edwin M. Yamauchi, “Cultic Prostitution: A Case in Cultural Diffusion”. In Harry A. Hoffner, Jr. (éd.), op. cit., p. 214.
(28) David F. Greenberg, op. cit., p. 96.
(29) Will Roscoe, “Precursors of Islamic Homosexualities”. In Stephen O. Murray (éd.), Islamic Homosexualities, Garland Publishing, New York, 1997, p. 67.
(30) N. K. Sandars, The Epic of Gilgamesh, Penguin Books, Londres, 1972, p. 8, 13.
(31) Anne Draffkorn Kilmer, “A Note on an Overlooked Word-Play in the Akkadian Gilgamesh”. In G. Van Driel, T.J.H. Krispijn, M. Stol et K.R. Veenhof (éd.), Zikir Sumim: Assyriological Studies Presented to F.R. Kraus on the Occasion of his Seventieth Birthday, E.J. Brill, Leiden 1982, p. 129.
(32) N. K. Sandars, op. cit., p. 30.
(33) Traductions, sauf indication contraire, d’Alexander Heidel, The Gilgamesh Epic and Old Testament Parallels, University of Chicago Press, 1971, Chicago, p. 18–33.
(34) Thorkild Jacobsen, “How Did Gilgamesh Oppress Uruk?”, Acta Orientalia, vol. 8, 1929, p. 70.
(35) Anne Draffkorn Kilmer, op.cit., p. 128–129.
(36) N. K. Sandars, op. cit., p. 68–69.
(37a). Thorkild Jacobsen, “How Did Gilgamesh Oppress Uruk?” Acta Orientalia, vol. 8, 1929, p. 72.
(37b) Ce que suggère manifestement l’auteur ici est que la surnatalité favoriserait les comportements homosexuels.
(38) David F. Greenberg, op. cit., p. 129.
(39) Raymond De Becker, op. cit., p. 14.
(40) David F. Greenberg, op. cit., p. 130–134.
(41) Raymond De Becker, op. cit., p. 14–15.
(42) Vern L. Bullough, op. cit., pages 64–65 (voir, pour la traduction française de ce texte lacunaire, Pascal Vernus, Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique, Plon, 2009 [N.D.E.])
(43) Ibid., p. 65.
(44) Voir, par exemple, Juges, 19: 22–30 ; I Samuel, 18:1–3 ; I Samuel, 20:30 ; II Samuel, 1:26 ; Deutéronome, 23: 17 ; I Rois, 14:24 ; II Rois, 23:7.
(45) Comme noté précédemment, le texte le plus ancien de l’épopée date du milieu du troisième millénaire avant notre ère. Le caractère sexuel de la relation entre Gilgamesh et Enkidu apparaît dans la version akkadienne, qui date de 2400-2200 avant notre ère (voir Kilmer, op cit.). L’interdiction de l’homosexualité dans les Écritures hébraïques, qui est examiné dans ce chapitre et fut la première interdiction de ce genre dans le monde antique, se trouve dans le livre du Lévitique, qui fut écrit après le retour des Israélites de captivité à la fin du sixième ou du cinquième siècle avant notre ère. Certains historiens ont mis en évidence qu’il existe une interdiction de l’homosexualité dans les enseignements du prophète iranien Zoroastre, qui aurait vécu vers 1200 avant notre ère. Cependant, les textes dans lesquels figure cette interdiction datent du IIIe siècle avant notre ère, à l’époque de la domination des Parthes sur la Perse. Le Vendidad, texte zoroastrien écrit vers 250 avant notre ère en Perse, contient des dispositions interdisant l’homosexualité dans le cadre d’un code sexuel favorisant la sexualité procréatrice. Toute fois, une tradition homosexuelle en Perse est attestée par les historiens grecs à partir du Ve siècle avant notre ère, si bien qu’il apparaît que l’interdiction dut avoir peu d’effet sur le comportement sexuel des Perses, si ce n’est sur celui des Zoroastriens dévots qui vivaient dans la Perse rurale de l’Est (voir David F. Greenberg, op. cit. p. 186-189). Bien que le concept d’ascétisme sexuel se développât au IIIe siècle avant notre ère dans le stoïcisme grec, environ deux mille ans après la rédaction de l’épopée de Gilgamesh, les stoïciens ne désapprouvaient ni le plaisir sexuel ni l’homosexualité, puisque le fondateur de l’école, Zénon, avait un amant, Parménide. Ils préconisaient simplement la modération et la maîtrise de soi. Toutefois, les concepts stoïciens, introduits dans les préceptes de la loi mosaïque par l’écrivain helléniste Philo Judaeus et combinés avec l’attitude de rejet du monde des cultes dualistes et les enseignements anti-sexuels du néo-platonisme classique, formèrent la base de l’ascétisme anti-sexuel véhément qui se développa dans l’église chrétienne dès les troisième et quatrième siècles de notre ère. L’ascétisme sexuel comme idéal de la morale chrétienne – attitude totalement étrangère aux enseignements des Évangiles – est examinée au chapitre 9.
(46) Louis M. Epstein, Sex Laws and Customs in Judaism, Bloch, New York, 1948, p. 3–4. Curieusement, Epstein affirme que, même s’il n’existe aucune preuve que les Hébreux aient réprouvé les pratiques homosexuelles avant la période de l’exil, il n’en reste pas moins qu’ils les avaient toujours réprouvées. Il se fonde sur le récit de la destruction de Sodome dans Genèse et sur le récit dans le livre des Juges de la destruction de la ville de Gaba à la suite de la tentative de viol dont avait victime un homme auquel un de ses habitants avait offert l’hospitalité. Dans les deux cas, la tradition juive affirme que ce qui provoqua le châtiment ne fut pas l’homosexualité per se, mais le comportement brutal de ses habitants envers les visiteurs (« puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie » – Juges, 19:23).
(47) Tom Horner, Jonathan Loved David: Homosexuality in Biblical Times, Westminster Press, Philadelphie, 1978, p. 15–25.
(48) Juges, 3:2 ; Josué, 23:13 ; Exode, 23:29. Voir aussi Riane Eisler, op. cit., p. 58, 94–95.
(49) Voir, par exemple, Josué, 6:21 ; 6:26 ; 7:24–26 ; 8:22–29 ; 11:6–17 ; 10: 10–11 ; 10:24–32 ; Juges, 1:2–6 ; 1:17, 19 ; 1:25 ; 3:28–29 ; 4:15–16 ; 8:7, 16: 9:5 ; 12:6 ; 18:27 ; 20:35–48 ; 1 Samuel, 11:11 ; 15:2–3 ; 15:7–8, 20 ; 22:18–19 ; 27:8–11 ; 30:17 ; 2 Samuel, 8:2–4 ; 12:31.
(50) Riane Eisler, op. cit., p. 43–45, 94–95.
(51a) Ibid., p. 93.
(51b) Le taureau était en effet à la fois un symbole de Baal et un symbole de Yahvé (Juges, 6-24-29) (James S. Anderson, Monotheism and Yahweh’s Appropriation of Baal, Bloomsbury Academic, 2015, p. 65). Dans la quasi totalité des traductions de la Bible en anglais (Deutéronome, 33-17, Nombres, 23:22) Yahweh est décrit comme étant doté de cornes qui ressemblent « aux cornes du taureau ». Entre autres parallèles entre Yahweh et Baal, il faut également signaler que les deux dieux portaient le titre de « ly », « très haut » (Mark S. Smith, The Early History of God: Yahweh and the Other Deities in Ancient Israel, 2e éd., William B. Eerdrmans Publishing Company, Grand Rapids , MI – Cambridge, 2002, p. 65 et sqq). D’autre part, le taureau est aussi le symbole de El, divinité qui fut supplanté par Baal dans la mythologie ougaritique. Yahweh est explicitement associé à El et à Baal sur plusieurs inscriptions retrouvés sur le site de Kuntillet Ajrud, situé au Nord-Est de la péninsule du Sinai (Watson E. Mills (éd. gén.), Mercer Dictionary of the Bible, Mercer University Press, p. 494) et ce n’est peut-être pas par hasard si le plus ancien nom hébreu de dieu est Baal (comme il n’est pas divinité taurine qui ne soit associée à une déesse mère, à laquelle il est subordonné, la question se pose donc de savoir à quelle déesse mère le premier dieu des Israélites était subordonné: à la déesse mère Asherath ? Voir Tilde Binger , Asherah: Goddesses in Ugarit, Israel and the Old Testament ; John Day, Yahweh and the Gods and Goddesses of Canaan, Sheffield Academic Press, Sheffield, 1997 ; Saul M. Ollyan, Asherah and the cult of Yahweh in Israel, Scholars Press, 1988 [N.D.E.])

Il ne sera pas inutile de rappeler ici ce que nous avons déjà dit ailleurs du symbolisme de la corne, en élargissant nos remarques. D’abord, les cornes de bovidé, par leur forme de croissant, sont de caractère lunaire et, en tant que telles, elles sont l’emblème de la déesse mère. S’il est exact qu’« (e)lles peuvent devenir un vecteur symbolique de la puissance solaire et mâle », ce n’est que dans le sens relatif où le soleil qu’elles représentent est celui qui meurt et renaît tous les jours, à l’instar des grandes divinités des panthéons sémitiques et non l’essence immuable et parfaite que les dieux qui sont associés à cet astre symbolisaient pour les peuples aryens ; ce n’est que dans le sens relatif où le principe masculin qu’elles évoquent est, conformément à la manifestation de la virilité chez les peuples sémitiques, soit grossièrement matériel et sensualiste, soit brutal et férocement guerrier (voir Julius Evola, Tre aspetti dello problema ebraico, Ar, Padoue, 1978, p. 7). Comme les cornes « évoquent les prestiges de la force vitale, de la création périodique, de la vie inépuisable,de la fécondité », « elles sont venues à symboliser la majesté des bienfaits du pouvoir royal » (Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Marian Berlewi et Bernard Gandet, Dictionnaires des symboles, éd. Revue et augmentée, Robert Laffont, p 1982, p. 389), pour être plus précis d’un pouvoir sacerdoto-royal en quelque sorte délégué par la déesse (dans les catacombes, le taureau sera l’emblème du prêtre https://ia601403.us.archive.org/11/items/lartchretien00corbgoog/lartchretien00corbgoog.pdf). Dans tout l’Ancien Testament, le corne évoque précisément le pouvoir du roi : « L’éternel jugera les bouts de la terre, et il donnera la force à son roi, et élèvera la corne de son oint » (1 Samuel 2:10. le terme de « corne » a été remplacé par celui de « force » dans la bible Segond) ; « Yahweh mon rocher, ma forteresse, mon libérateur, mon Dieu, mon roc où je trouve un asile, mon bouclier, la corne de mon salut, ma citadelle! » (Psaume, 18:2. Là encore, le terme de « corne » a été expurgé de certaines traductions françaises de la Bible) ; Dieu « fera germer une corne de salut pour David » (Psaume, 132 , 17) (voir, pour d’autres références bibliques à la corne, S.J. Léopold Sabourin, L’Évangile de Luc : introduction et commentaire, Editrice Pontificia Università Gregoriana, Rome, 1992 ; pour un examen, malheureusement non exhaustif, des occurrences du terme de « corne » dans les textes ougaritiques et l’Ancien Testament, A.H.W. Curtis, « Some observations on « Bull » Terminology in the Ugaritic Texts and the Old Testament ». In A. S. Van Der Woude (éd.), Quest of the Past: Studies on Israelite Religion, Literature and prophetism, Brill, leiden – New York – Coenhague – Cologne, 1990). Cette métaphore est reprise dans le Nouveau Testament : le Seigneur « … nous a suscité une corne de salut dans la maison de David, son serviteur » (Luc, 1, 69).

Les centaines de milliers de sites Internet passés maîtres dans l’art du copier-coller où les cornes sont dénoncées comme un emblème satanique réussiraient donc presque à faire oublier que les cornes sont une métaphore courante du pouvoir et de la puissance dans le judéo-christianisme.
(51c) Comme le taureau et la déesse mère forment un couple divin dans les mythologies sémitiques, il est contradictoire de supposer que le dieu originel des Israélites était Baal (le taureau), tout en affirmant que le culte de Yahvé se développa en réaction au culte de la déesse mère.
(52) Christopher L.C.E. Witcombe, “Eve and the Identity of Women: Part 6, the Old Testament, Women & Evil”. Images of Women in Ancient Art, Sweetbriar College, consultable à l’adresse suivante : http://witcombe.sbc.edu/eve-women/6womenevil.html, consulté le 22 décembre 2016.
(53) Dennis Bratcher, “Speaking the Language of Canaan: The Old Testament and the Israelite Perception of the Physical World”. Consultation on the Relationship between the Wesleyan Tradition and the Natural Sciences, Kansas City, MO, 19 octobre 1991.
(54) Juges, 2:11–13 ; 3:7 ; 6:25 et sqq. ; 10:6 ; I Samuel, 8:4 ; 12:10.
(55) Tom Horner, op. cit., p. 64 ; David F. Greenberg, op. cit., p. 137–138.
(56) Juges, 2:13 ; 3:7 ; 6:25; 10:6 ; I Samuel, 7:4 ; 12:10.
(57) Par exemple, Baal-Gad (Josué, 11:17 ; 12:7 ; 13:5) ; Baal-Hermon (Juges, 3:3 ; I Chroniques, 5:23 ; Baal-Meon (Nombres, 32:38 ; Ézéchiel, 25:9 ; I Chroniques, 5:8).
(58) I Rois 18:19.
(59) Riane Eisler, op. cit., p. 87–88.
(60) 2 Rois, 18:4.
(61) Raphael Patai, The Hebrew Goddess, Avon, New York, 1978, p. 12–3, p. 48–50, cité in Riane Eisler, op. cit., p. 93.
(62) Tom Horner, Jonathan Loved David: Homosexuality in Biblical Times, Westminster Press, Philadelphie, 1978, p. 64 ; David F. Greenberg, p. 137–138 ; au sujet des kadesh et de leurs homologues féminines, voir I Rois, 14.22–24, 15.12, 22.46 ; II Rois, 23:7 ; Deutéronome, 23.17–18 ; Lévitique, 18:3, 24:30, 20:23 (le radical qdš renvoie généralement à la notion de sainteté dans les langues sémitiques [Melissa Hope Ditmore (éd.), Encyclopedia of Prostitution and Sex Work, vol. 2, p. 418]. Il se retrouve dans l’akkadien « qadishtum » (« femme consacrée ») et le cananéen « qedešah » (« femme consacrée »). Certains documents attestent que la qadishtum avait les mêmes fonctions que le kadesh. La qadishtum pouvait se marier et avoir des enfants, mais devait sortir voilée [New Orient, vol. 3, Czechoslovak Society for Eastern Studies, 1962, p. 73]. Dans le code d’Hammourabi, cependant, le terme a le sens de « femme consacrée », sans avoir la connotation de « prostituée » ; dans les anciens textes babyloniens, il signifie « sage-femme » ; dans la littérature classique babylonienne, les qadishtu sont identifiées à des sorcières [Youn Ho Chung, The Sin of the Calf, 2010, t&t clark, New York – Londres, 2010, p. 159]. Le personnel des temples d’Ougarit comprenait une qdshm. qui se livrait à la « prostitution sacrée » pour favoriser la fertilité [David M. Clemens, Sources for Ugaritic Ritual and Sacrifice: AOAT : Veröffentlichungen Zur Kultur und Geschichte Des Alten Orients und Des Alten Testaments. Ugaritic and Ugarit Akkadian texts, Ugaritic-Verlag, 2001]. Enfin, comme indiqué par l’auteur, à Memphis, sur un monument dédié à Qudsu, cette déesse syrienne associée à l’amour et à la fertilité est appelée « la prostituée » (David F. Greenberg, op. cit., p. 95 [N.D.E.]).
(63) 2 Rois, 23, 7.
(64) C.A. Tripp, The Homosexual Matrix, McGraw-Hill, New York, 1975, p. 6.
(65) Jérémie, 44:24–48.
(66) 1 Rois, 14:24 ; 15:12 ; 22:46 ; Deutéronome, 23:17–18 ; Lévitique, 19:4.
(67) Riane Eisler, op. cit., p. 44–45, 94–95.
(68a) Christopher L.C.E. Witcombe. op. cit.
(68b) L’auteur commet un anachronisme. Pour Origène et Grégoire de Nysse, suivant à la lettre Job, 41 (« Corpus illius (Behemot) quasi scuta fusilla, compactum squamis se prementibus »), le corps du démon est recouvert d’écailles d’airain, « figures de l’universalité des pêchés et des pêcheurs » (M. Le Chanoine J. Corblet (éd.), Revue de l’art chrétien, 2e série, t. 12, Paris – Arras, 1880, p. 18) « Les peintures et les statues du démon, en faisant irruption dans l’art, y apparurent, non plus complètement revêtues d’écaillés, mais formées tout entières de l’assemblage des membres de plusieurs animaux différents composant un même sujet ou plutôt un même monstre, et c’est ce qu’on peut voir dans toutes les œuvres d’art écrites, peintes ou sculptées qui nous sont restées de ce temps. On y voit, entées sur un tronc presque toujours ou du moins très souvent humain « , diverses parties d’animaux sans analogie réciproque, telles que les jambes du singe adaptées à des corps de poule ou de palmipède, ou le bec crochu du faucon à une tête de mammifère. C’est pour ce motif que les figures des démons sont si laides, car l’assemblage dans le même individu de ces membres si disparates ne peut être que monstrueux. » La première description précise connue du diable est due au moine Raoul Glauber (985-1045) qui, dans Les Histoires, rapporte ainsi la vison qu’il a eu de lui en songe : « Il était de petite taille, avec un cou grêle, un visage émacié, des yeux fort noirs, le front rugueux et crispé, les narines pincées, la bouche proéminente, les lèvres épaisses, le menton fuyant et très étroit, une barbe de bouc, les oreilles velues et effilées, les cheveux hérissés en broussaille, des dents de chien, le crane en pointe, la poitrine enflée, une bossu sur le dos, les fesses frémissantes, des vêtements sordides » (Les Histoires, V, 1, Cité in Bernard Teyssedre, Le Diable et l’Enfer au temps de Jésus, Albin Michel, 2014, p. 249). Dans le Scivias (v. 1150), d’Hildegard von Bingen, ouvrage orné d’enluminures représentant vingt-six de ses visions mystiques, Satan n’est point cornu (https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/30/93/93/309393074ba71365a4999abf14e4c234.jpg). Dans Ordo virtutum, drame liturgique de sa composition, le personnage de Satan « une peau de bête brun rougeâtre semblable à celle des dragons » (Morgan A. Matos, « The Satanic Phenomenon: Medieval Representations of Satan », Thèse de Doctorat, 2011, consultable à l’adresse suivante : http://scholarship.rollins.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1027&context=mls, consulté le 23 décembre 2016, p. 35) dans les représentations picturales de l’époque. Dès le XIIe siècle, Satan commence à être représenté sous la forme d’un animal fantastique à cornes de taureau dans les bestiaires, dans les psautiers http://ica.themorgan.org/manuscript/page/28/76977 ; Angleterre, Oxford v. 1215), dans les bréviaires et dans les bibles. Selon M. Le Chanoine J. Corblet (op. cit., p. 18), c’est à cause de la nécessité d’illustrer le vice et le mal par des formes monstrueuses que « les cornes du taureau, attribut de sa vigueur et de sa puissance physique, sont souvent prêtées au démon dans la peinture hiératique… » du « Moyen Âge ». En quoi les cornes de taureau seraient-elles monstrueuses ? En réalité, Satan, pour l’Église de l’époque, représentait lui-même le Juif, que les chrétiens associait aux cornes en vertu d’une soi-disant erreur de traduction d’un mot d’Exode, 34.29 (« Or il arriva que lorsque Moïse descendait de la montagne de Sinaï, tenant en sa main les deux Tables du Témoignage, lors, [dis-je], qu’il descendait de la montagne, il ne s’aperçut point que la peau de son visage était devenue resplendissante pendant qu’il parlait avec Dieu ») dans la vulgate (selon Charles Szlakmann, « Les versets Hébreux mentionnent à trois reprises l’expression « karan or panaʋ« , « la peau de son visage était rayonnante ». Mais saint Jérôme a traduit « cornuta esset facies sua » « son visage était cornu ». Il a été victime de la proximité phonétique entre les mots hébreux « karan« , rayonner, et keren, corne. » (Moïse, Paris, Gallimard, coll. « Folio Biographies », 2009, p. 189-190 ; selon The Brown-Driver-Briggs Hebrew and English Lexicon, Jérôme n’a été victime de rien du tout, car « qaran » peut être traduit par « cornes », plus exactement, ce détail a son importance, « cornes de bouc » : (http://www.lehrhaus.org/wp-content/uploads/2010/01/Exodus-30-1-10.pdf, p. 1). L’Église renforça l’association du Juif avec l’image d’un diable cornu en prenant un décret qui obligeait les Juifs à porter un chapeau « à cornes » (« pileum cornutum », qui, ce détail aussi a son importance, ressemble davantage à un bonnet phrygien) (Mariko Mizayaki, Misericord Owls and Medieval Anti-Semitism. In Debra Hassig (éd.), The Mark of the Beast: The Medieval Bestiary in Art, Life, and Literature, Garland Publishing Inc, New York – Londres, 1999, p. 29). Du « Moyen Âge » à la « Renaissance », les cornes ne furent pas les seules excroissances que les peintres firent pousser par leur pinceau sur la tête du diable : Michael Pacher (Saint Augustin et le diable,1471) leur donna la forme d’antennes d’insecte (http://www.crisismagazine.com/wp-content/uploads/2013/11/Michael-Pacher.jpg) ; à côté d’un diable cornu figure un diable aux oreilles de félin sur un tableau de Hieronymus Bosch (https://img.buzzfeed.com/buzzfeed-static/static/2015-10/23/10/enhanced/webdr13/enhanced-24351-1445610547-12.jpg) ; la forme de la couronne cornue du diable représenté chevauchant une monture sur une peinture non datée, mais qui, vu sa facture, doit être du XVe siècle (https://img.buzzfeed.com/buzzfeed-static/static/2015-10/23/10/enhanced/webdr03/enhanced-27502-1445610695-1.jpg) n’est pas sans rappeler la fleur de lys ; en revanche, Fra Angelico a coiffé le sien de superbes cornes de taureau (http://www.romantisme-noir.net/wp-content/uploads/2012/12/fra-angelico-hell-1435-1440.jpg, dont la pureté d’exécution ne le cède en rien à celles du dessin de Satan qui illustre le Codex Griga (XIIIe siècle) (http://www.newworldencyclopedia.org/entry/File:Codex_Gigas_devil.jpg). ( Huguette Legros, Le diable et l’enfer : représentation dans la sculpture romane, OpenEdition Books Presses universitaires de Provence, consultable à l’adresse suivante : http://books.openedition.org/pup/2668?lang=fr;;en, consulté le 20 décembre 2016)
Quant au Satan portant des cornes de bouc qui fait aujourd’hui partie de l’imagination « populaire »; il dérive du et n’est guère antérieur au dessin du « bouc de Mendès » dont Eliphas Levi orna son « Dogme et rituel de haute magie » (https://en.wikipedia.org/wiki/Horned_God#/media/File:Baphomet.png).
(69) Sur la base d’une analyse textuelle détaillée, les érudits bibliques sont arrivés à la conclusion que la plupart des livres de l’Ancien Testament furent compilés à partir d’un certain nombre de textes différents écrits par divers prêtres sur une période de plusieurs centaines d’années qui commença vers le début du VIIIe siècle avant notre ère. Le premier des textes, appelé texte J, fut écrit par un membre ou des membres du sacerdoce aaronite de Jérusalem et contenait un récit des événements qui se succédèrent de la Création à l’arrivée des Israélites à Canaan. Le récit, écrit dans une perspective aaronite, soulignait l’importance d’Aaron et des prêtres qui descendaient de-lui et relativisait le rôle de Moïse, dont leurs rivaux, les Shiloh, prétendaient descendre. Le texte, qui se rapproche beaucoup de ce qui devint les quatre premiers livres de la Torah, comprenait également le premier code de la loi hébraïque, notamment une longue liste de règles relatives à des domaines allant de l’habillement à l’alimentation, qui permit au sacerdoce aaronite d’asseoir son autorité sur le culte hébreu. Le deuxième texte, le texte E, écrit en réaction au texte J par les prêtres Shiloh dans le Royaume du Nord, fournit un récit historique similaire, mais contient un code de lois différent et accentue le rôle de Moïse, tout en minimisant celui d’Aaron. Dans la période qui suivit la destruction du Royaume du Nord par les Assyriens en 720 avant notre ère, quand Jérusalem fut inondé de réfugiés du Nord, les deux textes furent regroupés, essentiellement dans le but effort de faciliter l’assimilation des réfugiés avec le peuple de Juda. À la fin du VIIe siècle avant notre ère, le roi Josias engagea des réformes religieuses visant à l’uniformisation du culte hébraïque d’après les rituels du Temple à Jérusalem, contrôlé par le sacerdoce aaronite. En conséquence, les Aaronites rédigèrent une nouvelle version du texte JE, appelée texte P, dans lequel ils réaffirmèrent leur point de vue, en le débarrassant des textes qui allaient dans le sens des prêtres de Shiloh. En réponse, un membre du sacerdoce de Shiloh, dont de nombreux chercheurs pensent qu’il s’agit de Jérémie, composa un long récit historique qui s’étalait de l’arrivée des Israélites à Canaan à l’invasion de Nabuchodonosor, à la destruction de Jérusalem et du Temple et à l’exil des Israélites à Babylone. Le texte, appelé par les chercheurs « Histoire deutéronomiste », comprend le livre du Deutéronome ainsi que les livres de Josué, Juges, 1 et 2 Samuel et 1 et 2 Rois. Après que les Perses eurent vaincu Babylone et que les Israélites eurent été libérés de la captivité, le monarque perse, Artaxerxès, nomma Esdras, membre du sacerdoce d’Aaron, chef religieux des Israélites, acte qui donna définitivement aux prêtres d’Aaron le contrôle des pratiques de culte hébraïque. Dans les années suivantes, un écrivain que les érudits appellent R, ou le rédacteur, peut-être Esdras lui-même et certainement un membre du sacerdoce d’Aaron, fit une nouvelle compilation des textes, les modifia, les édita et les regroupa dans les quatre premiers livres de la Torah. Il ajouta par la même occasion onze chapitres à la Genèse, rendit le livre de l’Exode deux fois plus long, composa la plus grande partie du Livre des Nombres et écrivit en entier le Lévitique. Il intégra ensuite les livres de l’Histoire deutéronomiste aux autres textes et organisa le tout dans les livres de la Bible tels qu’on les connaît aujourd’hui. Vers la même époque, un scribe aaronite ajouta I et II Chroniques, qui offre une réponse aaronite aux textes deutéronomiques et place ainsi le récit historique de la Bible dans une perspective entièrement aaronite. Les livres d’Esdras et de Néhémie reprennent le récit historique, avec le retour d’exil des Israélites, la reconstruction du Temple et la reconstitution de la nation d’Israël, perspective aaronite. Les autres livres de la Bible, les livres des prophètes et les livres de la sagesse, furent compilés à partir de nombreuses autres sources, y compris les écrits des prophètes eux-mêmes et d’autres textes transmis au cours des générations.
(70) R.E. Friedman, Who Wrote the Bible?, Harper Collins, 1997.
(71) Isaïe, 6:13, 17:8, 27:9.
(72) Christopher L.C.E. Witcombe, op. cit.
(73) 1 Rois, 21:25.
(74) 1 Rois, 16:31–33.
(75) Oxford English Dictionary.
(76) American Heritage Dictionary.
(77) Rictor Norton, A History of Homophobia, 1: The Ancient Hebrews, http://www.infopt.demon.co.uk/homopho1.htm , p. 71 ; David F. Greenberg, op. cit., p. 139–141.
(78) David F. Greenberg, op. cit., p. 139–140.
(79) Par exemple, 1 Rois, 14:23–24, dans l’original hébraïque duquel le terme de « to-ebah », « idolâtre » ou « rituellement impur » est employé en référence aux activités des kadesh.
(80) Louis M. Epstein, op. cit., p. 4.
(81) Outre les passages des Écritures cités ici, voir David F. Greenberg, op. cit., p. 136 note 49, qui en énumère d’autres relatifs au péché de Sodome compris comme une attitude inhospitalière ou cruelle envers des invités ou des voyageurs : Deutéronome, 29:23, 32:32 ; Isaïe, 1:9–10, 3:9, 13:19 ; Jérémie, 23:14, 49:18, 50:40 ; Lamentations, 4:6 ; Amos, 4:11.
(82) Luc, 10:10–12.
(83) De nombreux exégètes bibliques rejettent l’hypothèse selon laquelle, dans ce passage, « connaître » voudrait dire « avoir des rapports sexuels » et donc, compte tenu des parties en présence, « avoir des rapports homosexuels ». Selon ces spécialistes, l’incident s’explique par le fait que Lot qui n’était pas un citoyen de la ville, mais un étranger qui y résidait et n’y avait aucun droit, y avait introduit deux étrangers sans permission. Les hommes, selon cette interprétation, cherchaient simplement à savoir qui étaient ces étrangers. Elle semble être pleinement confirmée par le fait que, dans la Bible, « yadha », le verbe « connaître » utilisé dans le verset en question, est employé dans plus de neuf cent autres passages bibliques dans le sens de « faire la connaissance de » et seulement dix fois dans le sens de « avoir des rapports sexuels ». Toutefois, l’offre que leur fit Lot de leur donner ses deux filles vierges au lieu des deux anges implique que Lot avait compris qu’ils coulaient avoir des rapport sexuels avec eux (Rictor Norton, op. cit.) (nos deux auteurs homosexuels, Norton et Neill, n’ont pas envisagé la possibilité que Lot, connaissant leur attirance pour les femmes, leur ait fait cette offre dans l’espoir qu’elle leur ferait perdre de vue qu’ils lui avaient demandé de faire sortir de chez lui les deux anges pour les « connaître » dans le sens de « prendre connaissance de leur identité » [N.D.E.])
(84) Vern L. Bullough, op. cit., p. 83 ; Derrick Sherwin Bailey, Homosexuality and the Western Christian Tradition, Longmans, Green, Londres, 1955.
and Co., 1955 p. 8–27 ; Robin Scroggs, The New Testament and Homosexuality, Fortress Press, Philadelphie, 1983, p. 85–98.
(85) Juges, 19:22–30.
(86) 1 Samuel, 16:12–23.
(87) Ibid.
(88) 1 Samuel, 18:1–4.
(89) 1 Samuel, 18:21 (littéralement : « par deux », comme l’indique The Inclusive Hebrew Scriptures, vol. 2 : The Prophets , Altamira Press, p. 115. La Bible Segond a donc tort de traduire ce passage par par « … dit à David pour la seconde fois : Tu vas aujourd’hui devenir mon gendre » [N.D.E.])
(90) 1 Samuel, 18:5.
(91) 1 Samuel, 20:30–34.
(92) 1 Samuel, 20:41.
(93) 2 Samuel, 1:26 (encore s’agit-il d’une traduction « chaste de la tristesse de David. D’autres traductions, plus proches du texte hébreu, notamment celle d’André Chouraqui, sont moins édulcorées : « Jonathan, mon frère, tu étais pour moi plein de charmes ! Ton amour m’était plus merveilleux que l’amour des femmes. » Enfin, une ambiguïté du vocabulaire hébraïque permet aussi de traduire : « Jonathan, mon frère, tu étais pour moi plein de charmes ! Ton amour m’était tout différent de l’amour des femmes » » (Odon Vallet, Jésus et Bouddha: Destins croisés du christianisme et du bouddhisme, Albin Michel, 1999 [N.D.E.])
(94) Anne Draffkorn Kilmer, op. cit., p. 130. (Voir également Gilgamesh: A Reader, John R. Maier, p. 85 [N.D.E.])
(95) John Boswell, Same-Sex Unions in Premodern Europe, Villard Books, New York, 1994, p. 135.
(96) Ibid.
(97) 2 Samuel, 9:1–13.
(98) Tom Horner, op. cit., p. 31–32. Pour un examen détaillé, étayé par des citations, de la traduction du passage dans la Septante et dans le texte massorétique par une vingtaine d’exégètes bibliques, voir Bruce L. Gerig, “Saul’s Sexual Insult and David’s Losing it: Homosexuality and the Bible, Supplement”, The Epistle: a Web Magazine for Christian Gay, Lesbian, Bisexual and Transgenderal People, http://epistle.us/hbarticles/saulinsultdaveloseit1.html.
(99) Ibid.
(100) John Boswell, op. cit., p. 136–137.
(101) Tom Horner, op. cit., p. 28.
(102) Cité in Tom Horner, op.cit. p. 39.
(103) Daniel, 1:9.
(104) David F. Greenberg, op. cit., p. 121.
(105) Allen Edwardes, The Jewel in the Lotus, A Historical Survey of the Sexual Culture of the East, Julian Press, New York, 1959, p. 189.
(106) David F. Greenberg, op. cit., p. 122 (voir Vincent Azoulay. « Xénophon, le roi et les eunuques : Généalogie d’un monstre ? » Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, L’Harmattan, 2000, 11, p. 3-26 ; consultable à l’adresse suivante : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00268761/document, consulté le 20 décembre 2016 ; Dominique Lenfant, « Le mépris des eunuques dans la Grèce classique : orientalisme ou anachronisme ? » In A. Queyrel Bottineau (éd.), La représentation négative de l’autre dans l’antiquité. Hostilité, réprobation, dépréciation, Editions Universitaires de Dijon, Dijon, 2014, consultable à l’adresse suivant : http://dominiquelenfant.free.fr/pdf/2014.Lenfant.Mepris%20des%20eunuques.pdf, consulté le 20 décembre 2016 [N.D.E.])
(107) Ibid.
(108) John Maxwell O’Brien, Alexander the Great: The Invisible Enemy, Routledge, New York, 1994, p. 112.
(109) Daniel, 1:3.
(110) Odyssée, 14:297, 15:449.
(111) Joël, 4:3. Voir, pour une analyse des problèmes de traduction de ce passage, Tom Horner, op. cit., p. 68.
(112) David F. Greenberg, op. cit., p. 122 note.
(113) Ibid., p. 121 note.
(114) Ezra, 7:26.
(115) En nommant Ezra chef religieux des Juifs et en le renvoyant à Jérusalem avec assez de fonds pour qu’il puisse exercer son autorité, Artaxerxès ne se montrait pas seulement magnanime envers les Juifs, il avait en tête des objectifs politiques spécifiques. En 460 avant notre ère, une confédération grecque sous la conduite d’Athènes avait vaincu les Perses à Memphis et s’était emparée d’une grande partie des côtes de la Palestine et de la Phénicie, ce qui représentait une sérieuse menace militaire pour l’empire perse. L’établissement d’un solide pouvoir religieux et civil pro-perse en Judée devait servir de rempart contre les incursions des Grecs à partir de la côte palestinienne.
(116) Louis M. Epstein, op. cit., p. 7.
(117a) Le Testament du Patriarche Reuben, 1:21.
(117b) Si, dans les écrits post-exiliques, il apparaît que la femme commence à être effectivement présentée comme la personnification du mal, d’Israël dans l’état de pêché, pour des raisons qui ne tiennent d’ailleurs pas uniquement à la participation des Juives aux rituels orgiastiques de la religion cananéenne, radicalement différente est l’image que donnent d’elle les écrits pré-exiliques, dans lesquels elle fait généralement figure, non pas de tentatrice, mais de victime des « transgressions sexuelles » de l’homme (Alice A. Keefe, Woman’s Body and the Social Body in Hosea 1-2, Sheffield Academic Press, Londres – New York, 2002, p. 167). Dans Genèse, 34, Juges, 19 et 2 Samuel, 13, ce n’est pas la femme, mais le viol de la femme, qui est la cause du chaos social. Du reste, le corps de la femme symbolise le corps social dans Juges, 19 (voir ibid., p. 175).
(118) Louis M. Epstein, op. cit., p. 7.
(119) John Boswell, Christianity, Social Tolerance and Homosexuality, University of Chicago Press, Chicago, 1980, p. 100–102 ; Tom Horner, op. cit. ; David F. Greenberg, op. cit., p. 135–141 ; Rictor Norton, “Homophobia and the Ancient Hebrews”. In Winston Leyland (éd.), Gay Roots: An Anthology of Gay History, Sex, Politics and Culture, Gay Sunshine Press, San Francisco, 1993, p. 70–71.
(120) Certains spécialistes pensent qu’il est possible que les anciens hébreux aient également été influencés par les préceptes religieux stricts de la religion zoroastrienne de leurs bienfaiteurs perses, qui accordait beaucoup d’importance à la reproduction et condamnait toute sexualité non orientée vers la procréation, y compris les pratiques homosexuelles. Étant donné l’affaiblissement des Israélites en tant que nation, une telle interdiction aurait pu être considérée comme souhaitable. Cependant, comme indiqué précédemment, la prohibition zoroastrienne de l’homosexualité fut formulée dans le Vendidad, qui ne fut rédigé qu’au IIIe siècle avant notre ère, deux siècles, semble-t-il, après qu’une interdiction identique eut été insérée dans le Lévitique.
(121) Rictor Norton, op. cit., p. 71 ; d’autres exemples de l’emploi de to-ebah en référence à des idoles ou à des cultes non juifs se trouvent dans Deutéronome, 7:25–26 ; 17:2–5 ; 13:12–15 ; 12:31; 18:9–12.
(122) John Boswell, op. cit., p. 100.
(123) Victor Paul Furnish, “The Bible and Homosexuality: Reading the Texts in Context”. In Jeffrey S. Siker (éd.), Homosexuality in the Church: Both Sides of the Debate, Westminster John Knox Press, Louisville, KY, 1994, p. 20.
(124) Les différentes tentatives d’éclaircissement du sens de « miskebe issa » n’ont réussi, en commençant par celle de Neill, qu’à embrouiller encore davantage le problème. Nous tâcherons de le poser clairement : si les rédacteurs du Lévitique avaient entendu condamner purement et simplement l’homosexualité masculine, ils auraient dit : « Tu ne coucheras point avec un homme », mais ils ont écrit : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme », c’est-à-dire « tu n’auras pas de rapports sexuels avec un homme comme on a des rapports sexuels avec une femme ». Donc, ce qui serait condamné ici, ce ne serait pas le fait pour un homme d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme, ce serait le fait pour un homme d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme, en se comportant comme un homme vis-à–vis d’une femme, autrement dit en jouant un rôle actif par rapport à son partenaire masculin. Cette lecture, syntaxiquement logique, s’avère culturellement absurde, dans la mesure où, dans toutes les sociétés où l’homosexualité masculine fut répandue de l’antiquité au « Moyen Âge », l’homosexualité active fut valorisée par rapport à l’homosexualité passive. Cependant, « miskebe issa » admet un sens qui peut permettre de résoudre la difficulté que pose la traduction littérale du verset : « état d’une femme étant pénétrée », ou plus simplement « réceptivité vaginale » (Saul M. Olyan, Social Inequality in the World of the Text, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2011, p. 62). Lévitique, 18-22 pourrait ainsi être rendu par « Tu ne coucheras point avec un homme dans l’état d’une femme étant pénétrée » et constituerait donc une condamnation de la seule homosexualité passive.
En passant, il a été avancé (ibid., p. 63) que la pratique homosexuelle à laquelle se réfère ce passage n’est pas nécessairement celle du coït anal [N.D.E.]
(125) Les érudits juifs des époques ultérieures interprétaient encore « kadesh » dans le sens d’« homosexuel », comme le montre Sanhedrin, traité du Talmud de Babylone contenant les lois relatives aux droits civil et pénal. Le rabbin ben Elsiha qui enseigna dans la première moitié du IIe siècle de notre ère interprétait l’interdiction des kadesh dans le Deutéronome comme une condamnation générale de la sodomie passive. Le commentaire de Rachi (1040 – 1105) donne aussi à « kadesh » le sens « homosexuel » (Louis Crompton, op. cit., p. 43 [ N.D.E.])
(126) Robert A. Di Vito, “Questions on the Construction of (Homo) sexuality: Same-Sex Relations in the Hebrew Bible”. In Beattie Jung, Joseph Andrew Coray (éds.), Sexual Diversity and Catholicism: Toward the Development of Moral Theology, the Liturgical Press, Collegeville, MN, 2001, p. 114–116 ; Victor Paul Furnish, “The Bible and Homosexuality: Reading the Texts in Context”. In Jeffrey S. Siker (éd.), Homosexuality in the Church: Both Sides of the Debate, Westminster John Knox Press, Louisville, KY, 1994, p. 20. Sur les connotations cultuelles de « zakar », voir l’analyse détaillée, étayée par de nombreuses citations des Écritures, de Bruce L. Gerig, “Homosexuality and the Bible: the Levitical Ban: A Mysterious Puzzle”. In The Epistle: a Web Magazine for Christian Gay, Lesbian, Bisexual and Transgenderal People, consultable à http://epistle.us/homobible.html et http://epistle.us/hbarticles/zakhar2.html.
(127) Louis M. Epstein, op. cit., p. 3–4.
(128) Robin Scroggs, The New Testament and Homosexuality, Fortress Press, Philadelphie, 1983, p. 92–94. Parmi les textes cités par Scroggs qui condamnent les pratiques homosexuelles comme idolâtres figurent la Lettre d’Aristée, La Sagesse de Salomon, les Oracles Sibyllins et Les Testaments des Douze Patriarches.
(129) Rictor Norton, op. cit., p. 71.
(130) Bernard Bamberger, “Leviticus”. In W. Gunther Plaut (éd.) The Torah: A Modern Commentary, Union of American Hebrew Congregations, New York, 1981, p. 881 ; Rictor Norton, op.cit., p. 71.
(131) 1 Macchabées, 14–15 ; 49.

Cet article, publié dans études asiatiques, guerre occulte, gynécocratie, est tagué , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.