KKK (suite)

Chapitre II. L’EXPANSION DU KLAN

Les moyens utilisés pour attirer l’attention furent éminemment efficaces. Au cours des mois de juillet et d’août 1866, les citoyens de Pulaski parlèrent beaucoup du Klan. Son caractère mystérieux était la sensation du moment. Il y avait un avis sur l’étrange ordre dans chaque numéro du journal local. D’autres journaux reproduisaient ces avis et c’est ainsi que le développement et l’expansion rapide du Klan furent favorisés.

La sensation à Pulaski avait atteint son paroxysme six semaines ou moins après la date de la fondation du Ku Klux et commençait à décroître. La curiosité qu’il avait d’abord éveillé avait diminué à tel point que le Klan serait certainement tombé dans l’oubli sans les circonstances suivantes :

Lorsque tous les citadins qui remplissaient les conditions d’admission dans le Klan en furent devenus membres, les jeunes gens de la campagne, dont la curiosité avait été attisée par les annonces dans les journaux, commencèrent à solliciter l’admission dans le Klan. Quelques-unes de ces demandes furent acceptées. Peu après, ces nouveaux membres sollicitèrent l’autorisation d’établir des « antres » dans différents endroits du comté. Une telle éventualité n’avait pas été anticipée, mais l’autorisation leur fut accordée ; si elle ne l’avait pas été, le résultat aurait très probablement été le même.

Puisqu’il était difficile d’appliquer le rituel du Klan de Pulaski à la campagne, diverses modifications furent permises. Cependant, ces nouvelles loges ou antres furent soumis aux injonctions les plus strictes en ce qui concerne le secret, le mystère et le caractère des nouveaux membres.

L’ordre se développa plus rapidement dans les districts ruraux que dans les villes.

Il y eut une forte augmentation des demandes d’autorisation d’établissement d’ « antres ».

La nouvelle de l’expansion du Ku Klux à la campagne excita l’attention de la population rurale plus que ne l’avait fait l’existence du Klan en ville. La même cause raviva l’intérêt des citadins pour l’ordre. Chaque numéro des journaux locaux des « régions infectées » était rempli de récits énigmatiques et captivants sur les activités de la « gentry fantastique ».

Le Klan se développa rapidement au cours de l’automne et de l’hiver 1866. Il s’étendit sur un vaste territoire. Parfois, il se manifestait soudainement dans des régions très éloignées des « antres » déjà existants.

Un habitant de l’ouest du Tennessee, du Mississippi, de l’Alabama ou du Texas qui se rendait dans des parages où l’ordre prévalait était initié et, à son départ, était autorisé à fonder un « antre » dans sa contrée. En réalité, il était fréquent d’établir un « antre » sans avoir reçu d’autorisation. Le lien entre ces « antres » était très ténu. Le Klan de Pulaski était, par une sorte d’accord tacite, la source du pouvoir et de l’autorité. Le Grand Cyclope de cet « antre » était virtuellement le chef de l’ordre, mais comme il n’avait aucun moyen de communiquer avec ses sujets ou ses subordonnés et ne disposait d’aucun moyen pour faire appliquer ses instructions, son autorité était plus fictive que réelle. Jusque-là, il n’était pas apparu indispensable de créer une structure solide, des règles rigoureuses et une surveillance étroite.

Les dirigeants du Ku Klux Klan n’envisageaient rien de plus sérieux que de s’amuser. Ils s’amusaient de la curiosité déconcertée et des spéculations folles d’un public mystifié plus encore que du divertissement grossier que leur offraient leurs initiations ridicules.

Tel est le récit de la première période de l’histoire du Ku Klux Klan, de juin 1866 à avril 1867 (18) ; mais, pendant tout ce temps, il acquit peu à peu, de manière très naturelle, de nouvelles caractéristiques que les fondateurs de l’ordre n’avaient pas envisagés au départ ; des caractéristiques qui transformèrent finalement le Ku Klux Klan en un groupe de « Régulateurs ».

La transformation se fit par l’action combinée de plusieurs causes ; (1) les impressions que l’ordre produisait sur l’esprit de ses membres ; (2) les impressions que ses méthodes étranges et mystérieuses produisaient sur le public ; (3) la situation anormale et particulière du Sud à cette époque.

Le mystère et le secret dont s’entourait le Klan produisaient une impression singulière sur l’esprit de beaucoup de ses membres.

Il était communément admis que le Klan se proposait une grande et importante mission. Cette idée favorisa son développement rapide. Cette conclusion, dans beaucoup de cas, était renforcée plutôt qu’infirmée par ce que les membres voyaient et entendaient dans leur « antre ». Il n’y avait pas un seul mot dans le rituel, dans le serment ou dans n’importe quelle partie de la cérémonie qui pouvait l’encourager, mais il était impossible d’effacer l’impression que ce mystère et ce secret, les titres ronflants des officiers, le costume grotesque des membres et la formidable prestation de serment ne se résumaient pas à un simple divertissement. Ce sentiment était inextirpable et de nombreux membres continuèrent à se comporter comme s’ils attendaient de grandes transformations. Chacun avait ses propres idées sur la nature de la tâche sérieuse que le Klan devait accomplir, mais tous étaient persuadés que cette tâche existait. Il ne fait pas bon pour des hommes d’être dans cet état d’esprit malsain et dangereux. Dans certains cas, il produisit tout naturellement de mauvais résultats.

La deuxième cause qui contribua à la transformation du Klan en un groupe de Régulateurs fut l’impression qu’il produisait sur le public. Lorsque les réunions commencèrent à se tenir dans la maison délabrée de la colline, les passants étaient nombreux. La plupart d’entre eux passaient en silence devant la sentinelle sinistre et fantomatique au bord de la route, mais toujours d’un pas plus rapide.

De temps en temps, quelqu’un s’arrêtait et demandait : « Qui êtes-vous ? » D’un ton terriblement sépulcral, la réponse était toujours la même : « Un esprit de l’autre monde. J’ai été tué à Chickamauga ».

Une réponse de ce genre, surtout lorsqu’elle était adressée à un nègre superstitieux, était extrêmement terrifiante et si, en plus, il entendait les bruits désopilants qui sortaient de l’« antre » au moment de l’investiture d’un postulant à la « couronne royale », il avait la matière pour une histoire des plus impressionnantes.

Des récits similaires parvenaient de la campagne. Le travailleur retardataire qui passait après la tombée de la nuit dans un endroit solitaire et isolé entendait des bruits horribles et avait des visions effrayantes.

Ceux qui répétaient ces récits les enjolivaient au gré de leur imagination jusqu’à ce que les nègres et de nombreux Blancs ressentent un effroi mêlé d’admiration et de respect à la mention du nom de « Ku Klux ».

Le licteur de l’« antre » de Pulaski rapporta que la route sur laquelle il était posté était pratiquement déserte. Dans la campagne, on remarqua que les déplacements nocturnes de la population de couleur diminuaient, voire cessaient complètement, partout où le Ku Klux se manifestait. A bien des égards, on constata une nette amélioration des habitudes d’une classe nombreuse qui, jusqu’alors, causait beaucoup d’ennuis. C’est ainsi que le Klan se rendit progressivement compte qu’il disposait des stratagèmes les plus puissants jamais inventés pour gouverner les ignorants et les superstitieux. Même les plus instruits étaient incapables de résister totalement à ce sentiment étrange et particulier qui envahissait toutes les communautés où le Ku Klux Klan se manifestait. Chaque semaine, un nouvel incident venait illustrer l’incroyable pouvoir de l’inconnu sur l’esprit des hommes de toutes classes. Les circonstances montrèrent que les moyens et les techniques de divertissement pouvaient être efficacement utilisés pour servir le bien public, éliminer l’anarchie et protéger la propriété.

Lorsque des propositions en ce sens commencèrent à être avancées, nombreux furent ceux qui hésitèrent, par crainte du danger qu’elles présentaient. La plupart étaient cependant d’avis que ces craintes n’étaient pas justifiées. Ils soulignèrent les résultats satisfaisants qu’ils avaient déjà obtenus. L’argument était convaincant, presque imparable. La question fut tranchée d’une manière informelle. La force même des circonstances avait éloigné le Klan de son objectif initial. C’est pourquoi, au début de l’été 1867, il était virtuellement, bien qu’il n’en ait pas encore fait profession, un groupe de régulateurs qui essayaient honnêtement, mais d’une manière imprudente et dangereuse, de protéger les biens et de maintenir la paix et l’ordre (19).

En fin de compte, le facteur le plus puissant de cette transformation, le facteur qui créa les conditions dans lesquelles les deux causes mentionnées ci-dessus produisirent un effet, était la situation particulière du Sud à cette époque.

Comme chacun le sait, la situation était tout à fait anormale, mais personne ne peut se rendre pleinement compte des conditions dans lesquelles se trouvaient les gens du Sud, si ce n’est par l’observation et l’expérience personnelles ; nul n’est capable de bien juger leur comportement s’il n’est pas pleinement informé des tenants et aboutissants de l’affaire. C’est pourquoi, non seulement le Ku Klux, mais aussi l’ensemble de la population sudiste furent jugés, reconnus coupables et condamnés à la barre de l’opinion publique sans avoir la possibilité de faire commuer leur peine par l’effet des circonstances atténuantes, qu’ils ont le droit de plaider en toute justice.

À cette époque, les convulsions de la grande révolution s’apaisaient. La meilleure classe du peuple était en très grande partie disposée à accepter l’arbitrage que l’épée lui avait accordé. À ce sujet, l’accord était presque général. Ceux qui en avaient la possibilité et les moyens se lancèrent immédiatement dans des activités agricoles, professionnelles ou commerciales. Peu étaient enclins à participer à la vie politique.

Il existait deux causes d’inquiétude et d’exaspération que les gens n’étaient pas d’humeur à supporter. L’une de ces causes était cette classe d’hommes qui, comme la lie, était brusquement remontée à la surface lors du grand bouleversement (20).

Ce n’était pas simplement parce qu’il s’agissait d’unionistes. Cela aurait été facilement pardonné à l’époque, comme le démontrent des centaines de cas. Mais la plupart de ces hommes avaient trahi les deux camps et n’étaient plus partisans de l’Union que parce que c’était le camp qui remportait la victoire. Plus grave encore, ils s’employaient maintenant à entretenir la discorde et les querelles entre les parties, comme seul moyen pour eux de ne pas retomber dans l’obscurité d’où ils avaient été brusquement tirés. Leur conduite était malveillante à l’extrême et extrêmement exaspérante. Ces hommes étaient une « épine dans la chair » du corps politique et social ; les efforts qui furent faits pour l’en extirper provoquèrent une inflammation qui, pendant un certain temps, ne présagea rien de bon.

Le second élément perturbateur était constitué par les nègres. Ils étaient passés soudainement de l’esclavage à la citoyenneté. Non seulement ils n’étaient pas préparés aux tâches qui leur incombaient soudainement de se dominer et de subvenir à leurs besoins, mais, en plus, beaucoup d’entre eux se mirent à jouer leur nouveau rôle dans la vie en s’imaginant à tort que la liberté était synonyme de licence. Ils se considéraient comme affranchis, non seulement de la servitude à l’égard de leurs anciens maîtres, mais aussi des obligations communes et ordinaires de la citoyenneté. Beaucoup d’entre eux considéraient l’obéissance aux lois de l’État – qui avaient été élaborées par leurs anciens propriétaires – comme une sorte de compromis des droits dont ils avaient été investis. L’administration du droit civil n’avait été rétablie que partiellement. Pour cette raison et pour d’autres encore, le pays était en proie à un désordre et une violence sans précédent à aucun période son histoire. Si les représentants de la loi avaient eu la volonté et la capacité d’arrêter tous les contrevenants, il aurait fallu une prison et un tribunal dans chaque district civil.

Les atteintes à la propriété par le vol et la destruction gratuite pour assouvir de petites vengeances étaient extrêmement pénibles. Une grande partie de ces déprédations était le fait de mauvais Blancs qui espéraient que leurs crimes seraient imputés aux nègres. Cependant, la cause la plus puissante de toutes celles qui provoquèrent cette transformation fut peut-être l’existence dans le Sud d’une forme fallacieuse et pervertie de l’« Union League » (21).

Il serait tout aussi injuste d’accuser cette organisation, telle qu’elle existait dans le Nord, des exactions commises sous le couvert de son nom qu’il l’est de rendre le Ku Klux Klan responsable de tous les actes d’anarchie et de violence qu’on lui impute.

Mais l’histoire de cette période fut marquée par l’existence une organisation très vaste et extrêmement active appelée « Union League ». Elle était constituée des trublions de la population nègre et était dirigée et contrôlée par des hommes blancs du type le plus vil et le plus méchant dont nous venons de parler. Ils se réunissaient fréquemment, étaient armés jusqu’aux dents et « ne respirait que la violence ». Ils ne se contentaient pas de proférer les menaces les plus violentes, mais les mettaient souvent à exécution contre les individus, les familles et les biens d’hommes dont le seul crime était d’avoir servi dans l’armée confédérée. Il est indéniable que le Ku Klux commit des excès et fut accusé d’actes répréhensibles. Mais il ne se rendit jamais coupable des désordres et des actes de malveillance injustifiés qui ont marqué l’histoire de l’« Union League » dans le Sud. C’est en partie, voire surtout, pour faire face à cette organisation agressive et belliqueuse que le Ku Klux se transforma en une organisation de protection (22).

Quel que soit le jugement de l’histoire, ceux qui sont au courant des faits resteront toujours fermement convaincus que le Ku Klux Klan rendit d’immenses services au cours de cette période de l’histoire du Sud. Sans lui, la vie des gens honnêtes n’aurait pas été tolérable dans de nombreuses régions du Sud. Le Ku Klux Klan servit une bonne cause. Partout où le Ku Klux Klan se manifesta, l’effet fut salutaire. Pendant un certain temps, les vols cessèrent. Les personnes sans foi ni loi prirent l’habitude de bien se tenir.

L’« Union League » relâcha sa rigueur extrême et se modéra. Par crainte du redoutable Ku Klux, les nègres firent plus de progrès en quelques mois dans l’apprentissage dont ils avaient besoin de la maîtrise de soi, de l’industrie, du respect des droits de propriété et de la bonne conduite en général qu’ils n’en auraient fait en autant d’années, sans cette impulsion ou une autre aussi puissante.

C’était une manière brutale et risquée de les corriger, mais, dans toutes les circonstances, elle semblait être la seule possible.

Bien sûr, ces hommes tentaient une expérience dangereuse. À l’époque, beaucoup d’entre eux le savaient et ne s’attendaient pas à ce qu’elle soit plus fructueuse que d’autres du même genre. Cependant, il ne semblait pas y avoir d’autre solution à cette époque. Les événements ne tardèrent pas à montrer que les craintes de ceux qui appréhendaient le danger n’étaient pas sans fondement et il devint clair que, si le Klan supprimait certains maux, il en engendrerait d’autres presque aussi graves, sinon aussi graves, à moins qu’il ne soit soumis à un meilleur contrôle que celui que ses dirigeants exerçaient alors sur lui (23).

CHAPITRE III. LA TRANSFORMATION

Dans l’ensemble, jusqu’au début de l’année 1867, les actions du Klan avaient été caractérisées par la prudence et la discrétion ; mais il y eut quelques exceptions. Dans certains cas, les ordres et ce qui était, d’un commun accord, la loi du Klan avaient été interprétés de manière libérale. Dans d’autres cas, les limites qu’il avait été tacitement convenu de ne pas franchir avaient été franchies.

Des tentatives furent faites pour remédier par des moyens positifs aux maux que les menaces n’avaient pas suffi à faire disparaître. Des hommes téméraires, imprudents et mal intentionnés s’étaient introduits dans l’ordre. Le danger que les plus prudents et les plus réfléchis avaient pressenti était désormais une réalité. S’il avait été possible de le faire, certains des chefs auraient été favorables à la dissolution. Ce n’était pas possible, car, à l’époque, l’organisation était très peu structurée et imparfaite. Le lien qui unissait ses membres était trop vague pour être rompu ou dénoué. Ils avaient évoqué un esprit des « vastes profondeurs ». Il n’était pas à leurs ordres.

De plus, le Klan était nécessaire. La seule ligne de conduite qui semblait promettre une solution satisfaisante au problème était la suivante : réorganiser le Klan selon un plan qui correspondait à sa taille et à ses objectifs actuels ; relier les antres isolés entre eux ; garantir l’unité des objectifs et la concertation des actions ; encadrer les membres par les limitations et les règlements les mieux adaptés pour les contenir dans des limites adéquates ; répartir l’autorité entre des hommes prudents dans les centres locaux et exiger d’eux une surveillance étroite de ceux dont ils avaient la charge.

On espérait ainsi se prémunir efficacement contre les dangers imminents. Dans cette perspective, le Grand Cyclope de l’antre de Pulaski demanda à tous les antres dont il avait connaissance de désigner des délégués pour se réunir en convention à Nashville, Tennessee, au début de l’été 1867 (24). Cette convention se tint à la date prévue. Il y avait des délégués du Tennessee, de l’Alabama et d’un certain nombre d’autres États. Un plan de réorganisation, préparé au préalable, fut soumis à cette convention et adopté. La séance fut levée après l’examen d’autres questions et les délégués rentrèrent chez eux sans avoir attiré l’attention.

Lors de cette convention, le territoire couvert par le Klan fut désigné comme l’« Empire invisible ». Il fut subdivisé en « royaumes », qui coïncidaient avec les frontières des États. Les « royaumes » furent divisés en « domaines » (« dominions »), qui correspondaient aux circonscriptions des représentants du Congrès ; les « domaines » en « provinces », qui coïncidaient avec les comtés ; les « provinces » en « antres ».

Chacun de ces départements (departments) avait son chef (officer).

À l’exception de celles du chef suprême, les fonctions de chacun d’entre eux furent minutieusement précisées.

Ces chefs étaient les suivants :

Le Grand Sorcier de l’Empire Invisible et ses dix Génies. Les pouvoirs de ce chef étaient presque autocratiques.
Le Grand Dragon du Royaume et ses huit Hydres.
Le Grand Titan du Domaine et ses six Furies.
Le Grand Cyclope de l’Antre et ses deux Faucons Nocturnes.
Un Grand Moine.
Un Grand Scribe.
Un Grand Trésorier.
Un Grand Turc.
Une Grande Sentinelle.

Les Génies, les Hydres, les Furies, les Gobelins et les Faucons Nocturnes étaient des chefs d’état-major. La gradation et la répartition de l’autorité étaient parfaites. À l’exception d’un point faible, le Klan, sous cette nouvelle organisation, était l’un des ordres les plus parfaitement organisés qui aient jamais existé dans le monde.

Comme nous le constaterons ultérieurement, il était vulnérable et échoua en raison de la nature de ses méthodes. Le secret fut d’abord sa force. Il devint ensuite sa plus grande faiblesse. Il fut une force tant qu’il fut associé au mystère. Lorsque les masques et les déguisements perdirent leur mystère, le secret devint une faiblesse.

L’une des choses les plus importantes que fit cette convention de Nashville fut une déclaration positive et énergique des principes de l’ordre. Cette déclaration était rédigée dans les termes suivants :

« Nous reconnaissons notre relation avec le gouvernement des États-Unis, la suprématie de la Constitution, ses lois constitutionnelles et l’Union des États qui en découle ».

Si ces hommes complotaient la trahison, nous nous demandons pourquoi ils exposèrent ainsi les principes de l’ordre. La déclaration citée ci-dessus n’était pas destinée à être propagée parmi le plus grand nombre. Pour autant que l’on sache, elle est aujourd’hui rendue publique pour la première fois. Nous devons donc considérer qu’elle décrit avec précision l’attitude politique que le Ku Klux Klan proposait et souhaitait maintenir. Tout homme qui devenait membre du Klan prêtait réellement serment de défendre la Constitution des États-Unis.

Cette convention de Nashville définit et énonça également les objectifs particuliers de l’ordre comme suit (25) :

(1) « Assurer la protection des faibles, des innocents et de ceux qui sont sans défense contre les indignités, les torts et les exactions des personnes sans foi ni loi, violentes et brutales ; soulager les blessés et les opprimés ; aider ceux qui souffrent, en particulier les veuves et les orphelins des soldats confédérés.
(2) « Protéger et défendre la Constitution des États-Unis et toutes les lois adoptées en conformité avec elle et protéger les États et leur population contre toute invasion, quelle que soit son origine.
(3) « Contribuer à l’application de toutes les lois constitutionnelles et protéger la population contre toute saisie illégale et contre tout procès qui ne serait pas jugé par ses pairs conformément aux lois du pays ».

Cette dernière disposition fut le résultat de la législation infâme et barbare de l’époque. Le 3 juin 1865, la trente-quatrième assemblée générale du Tennessee rétablit la loi sur la sédition et restreignit le droit de suffrage (26). Une milice nègre, inculte et brutale, s’installa dans l’État et sema la terreur dans tout le pays. Les hommes craignaient pour leur vie, leur liberté et leurs biens. S’ils osaient se plaindre, ils étaient persécutés. Il n’était pas étonnant qu’ils aient pris des mesures désespérées pour se défendre. La situation était désespérée. Compte tenu de toutes les circonstances et les aggravations, on ne peut que s’étonner que des hommes aussi persécutés et opprimés soient restés aussi modérés et indulgents.

La législation de la convention de Nashville du Ku Klux est une preuve interne de ce que nous savons être vrai d’après d’autres sources. Tout en élaborant des mesures de protection de la vie et des biens et de résistance à l’anarchie et à l’oppression, que ce soit de la part de parties irresponsables ou de ceux qui prétendaient agir légalement et sous le couvert de l’autorité, les délégués étaient soucieux de contrôler le Klan lui-même et de le maintenir dans ce qu’ils considéraient comme des limites sûres.

Jusque-là, la majorité avait fait preuve d’une juste appréciation des responsabilités liées à la tâche qu’elle s’était imposée de préserver l’ordre social. Toutefois, en toutes circonstances, une organisation de ce type est naturellement portée à la violence et au crime et elle l’est encore davantage dans des circonstances comme celles qui prévalaient alors.

Des excès furent commis. Qu’ils aient été justifiés ou non, ils furent imputés au Klan. On prévoyait et on craignait que, si de tels excès se poursuivaient ou s’amplifiaient, l’hostilité des gouvernements des États et du gouvernement fédéral envers le Klan ne redouble et que des mesures actives soient prises pour le supprimer. On espérait que les mesures législatives prises par la convention et la réorganisation permettraient non seulement au Klan d’exercer son rôle de régulateur avec plus de succès, mais aussi de maintenir ses membres dans les limites prescrites et de se prémunir ainsi contre les éventualités mentionnées. L’objectif était d’une part de contenir et de contrôler les membres, d’autre part de corriger les maux et de favoriser l’ordre dans la société et ce uniquement en utilisant à cette fin les moyens et les méthodes employés à l’origine pour s’amuser. Dans chaque cas, le succès ne fut que partiel, comme nous le verrons plus loin.

La réorganisation ne provoqua pas de changement significatif dans les pratiques du Klan. Certaines des anciennes méthodes furent légèrement modifiées ; quelques nouveaux éléments furent intégrés. Les caractéristiques essentielles du Klan, à savoir le mystère, le secret et le grotesque, furent conservées et des mesures furent prises pour approfondir et intensifier les impressions déjà produites sur l’esprit du public. On tenta de pousser jusqu’aux limites extrêmes de l’illustration le pouvoir du mystérieux sur l’esprit des hommes.

Désormais, on recherchait la publicité avec autant d’assiduité qu’on semblait la fuir auparavant. Les membres apparaissaient en différents lieux à la fois et toujours au moment et à l’endroit où l’on s’y attendait le moins. Les artifices se multipliaient pour tromper les gens sur leur nombre et sur tout le reste et pour jouer sur les craintes des superstitieux.

La politique du Klan étant dorénavant de se montrer en public, le Grand Dragon du Royaume du Tennessee ordonna aux Grands Géants des Provinces d’organiser un défilé général dans la capitale de chaque Province dans la nuit du 4 juillet 1867. Dans le cadre de ce récit, il suffira de décrire ce défilé tel que les citoyens de Pulaski en furent les témoins. Des scènes similaires se déroulèrent dans de nombreux autres endroits.

Le matin du 4 juillet 1867, les citoyens de Pulaski découvrirent les trottoirs jonchés de bouts de papier portant les mots imprimés (27) : « Le Ku Klux paradera dans les rues ce soir ». Cette annonce provoqua une grande effervescence. Les gens pensaient que leur curiosité, si longtemps déjouée, allait enfin être satisfaite. Ils étaient persuadés que ce défilé leur donnerait au moins l’occasion de découvrir qui étaient les Ku Klux.

Peu après la tombée de la nuit, les rues étaient bordées d’une foule impatiente et enthousiaste. Beaucoup étaient venus de la campagne environnante. Les membres du Klan du comté quittèrent leur domicile dans l’après-midi et voyagèrent seuls ou par groupes de deux ou trois, leur attirail soigneusement dissimulé. Lorsqu’on les questionnait, ils répondaient qu’ils se rendaient à Pulaski pour assister à la parade du Ku Klux. À la tombée de la nuit, ils se rassemblèrent à des endroits spécifiques près des quatre routes principales qui mènent à la ville. Là, ils revêtirent leurs robes et leurs déguisements et mirent des housses voyantes à leurs chevaux. Une fusée lancée d’un endroit de la ville donna le signal du départ. Dans un silence absolu, les différentes compagnies se rencontrèrent et se croisèrent sur la place publique ; la discipline semblait admirable (28). Pas un mot ne fut prononcé. Les ordres nécessaires furent donnés à l’aide de sifflets. En file indienne, dans un silence de mort, avec une lenteur funèbre, ils traversèrent la ville et revinrent sur leurs pas. Tandis que la colonne se dirigeait vers le nord sur une rue, elle se dirigeait vers le sud sur une autre. Comme elles se croisaient dans des directions opposées, les lignes ne s’interrompaient presque pas. Ils paraissaient ainsi plus nombreux qu’ils ne l’étaient. Ces aller-retour se poursuivirent pendant environ deux heures, puis le Klan repartit aussi silencieusement qu’il était venu. Le public était plus que jamais mystifié. Sa curiosité n’avait pas été satisfaite, contrairement à son attente. Les tentatives des plus curieuses et des plus rusées pour découvrir les membres du Ku Klux Klan avaient été vaines. Un campagnard grand amateur de chevaux, qui prétendait connaître tous les chevaux du comté, était persuadé de pouvoir identifier les cavaliers par leurs chevaux. C’est dans ce but qu’il était resté en ville pour assister au défilé. Mais, comme nous l’avons dit, les chevaux étaient aussi bien déguisés que les cavaliers. Déterminé à ne pas se laisser déconcerter, il souleva, lors d’une halte de la colonne, la housse d’un cheval qui était à ses côtés – le cavalier n’y vit pas d’objection – et reconnut son propre cheval et la selle sur laquelle il était assis jusqu’à la ville. Les habitants de la ville restaient également aux aguets pour découvrir qui des jeunes citadins était membre du Ku Klux. Tous, presque sans exception, étaient identifiables : ils se mêlaient librement et ostensiblement aux spectateurs. Ceux d’entre eux qui étaient membres du Klan ne participèrent pas au défilé.

Cette manifestation eut l’effet escompté. La plus grande illusion qu’elle produisit concernait peut-être le nombre de participants. Des citoyens dignes de confiance – des hommes au jugement froid et précis – étaient persuadés que leur nombre n’était pas inférieur à trois mille. D’autres, dont l’imagination se laissait plus facilement exciter, étaient tout à fait certains qu’il y en avait dix mille. La vérité est que le nombre de Ku Klux dans le défilé ne dépassait pas quatre cents. Cette illusion domina partout où se manifesta le Ku Klux. Elle illustre le manque de valeur du témoignage d’un témoin oculaire qui assiste à un évènement qui l’impressionne profondément en raison de son caractère mystérieux.

Le Klan comptait un grand nombre de membres ; il possédait un pouvoir immense, terrifiant et salutaire ; cependant, son influence ne fut jamais liée ou proportionnelle au nombre de ses membres. Elle résidait dans le mystère dont ses membres, relativement peu nombreux, s’entouraient. Devant la commission d’enquête, le général Forrest estima le nombre de Ku Klux au Tennessee à 40 000 (29) et dans tout le Sud à 550 000. Il ne s’agissait pour lui que d’une estimation approximative (30). Les résultats d’une enquête approfondie indiquent que cette estimation était exagérée dans les deux cas. C’est une erreur de supposer que tous les hommes du Sud étaient membres du Ku Klux ou même qu’une majorité d’entre eux étaient informés de ses secrets et soutenaient les mesures les plus radicales qu’il prit. Pour beaucoup d’entre eux, peut-être pour une majorité, le Ku Klux Klan était un groupe aussi vague, impersonnel et mystérieux que pour les habitants du Nord ou de l’Angleterre. Ils lui attribuaient cependant de grands bienfaits et se souviennent encore aujourd’hui avec reconnaissance de la protection qu’il leur accorda dans la période la plus éprouvante et la plus périlleuse de leur histoire, alors qu’ils ne savaient plus à quel saint se vouer (31).

On peut donner ici un ou deux exemples des méthodes qu’il utilisait pour jouer sur les peurs superstitieuses des nègres et d’autres personnes (32). Lors de la parade de Pulaski, au moment où le cortège passait au coin d’une rue où se tenait un nègre, un grand cavalier en costume hideux s’écarta de la file, descendit de cheval et tendit sa bride au nègre, comme s’il voulait qu’il tienne son cheval. N’osant pas refuser, l’Africain, effrayé, tendit la main pour saisir la bride. Alors qu’il s’apprêtait à la prendre, le Ku Klux retira sa tête de ses épaules et lui proposa de la placer également dans la main qu’il tendait. Le nègre ne demanda pas son reste et partit en poussant un cri de terreur. Aujourd’hui encore, il vous dira : « Il l’a fait, j’le jure, patron. Je l’ai vu faire ». La robe du Ku Klux était attachée par un cordon au sommet de sa tête. Par-dessus, il portait un crâne de carton-pâte, à moins qu’il ne se soit agi d’une grande calebasse. Il lui était facile d’enlever ce crâne et le chapeau dont il était couvert et il semblait alors ne pas avoir de tête. De tels tours firent naître la croyance – toujours répandue chez les nègres – que les Ku Klux pouvaient s’arracher les membres quand ils le voulaient.

Certains membres du Ku Klux portaient des mains de squelette. Celles-ci, en os ou en bois, étaient munies d’une tige suffisamment longue pour pouvoir être tenue dans la main, qui était dissimulée par la manche de la robe. Le propriétaire de l’une de ces mains était invariablement d’humeur amicale et proposait à tous ceux qu’il croisait de leur serrer la main. Il est facile d’imaginer l’effet qu’il produisait sur eux.

Un des tours d’adresse les plus courants dans le pays était le suivant : un cavalier à l’apparence spectrale et fantomatique s’arrêtait devant la cabane d’un nègre en mal d’un châtiment salutaire et lui demandait un seau d’eau. S’il lui apportait une louche ou une gourde, il la refusait et il lui demandait de nouveau un seau rempli d’eau. Comme s’il mourrait de soif, le cavalier la saisissait et la portait à ses lèvres. Il l’y gardait jusqu’à ce que toute l’eau soit passée dans le sac en gomme ou le sac à huile qui était dissimulé sous sa robe. Il rendait alors le seau vide au nègre stupéfait, en lui faisant la remarque suivante : « Voilà qui est bien. C’est la première fois que je bois de l’eau depuis que j’ai été tué à Shiloh ». Les quelques conseils qu’il lui donnait ensuite sur le comportement à adopter à l’avenir produisait sur lui une impression qu’il ne pouvait pas oublier ou qu’il ne risquait pas d’ignorer.

Dans des circonstances ordinaires, de tels stratagèmes sont injustifiables. Mais, dans la situation particulière qui existait alors, ils servaient une bonne cause. Non seulement il était préférable de dissuader les nègres de voler et de commettre d’autres actes répréhensibles de cette manière plutôt que de les mettre en prison, mais c’était aussi le seul moyen à l’époque de les contrôler. Les prisons ne pouvaient pas les contenir tous. Les tribunaux ne pouvaient ou ne voulaient pas les juger. La politique du Klan fut toujours de dissuader les hommes de commettre des actes répréhensibles. Il n’entreprit de punir que dans de rares cas exceptionnels, les plus graves (33).

John C. Lester et ‎Daniel L. Wilson, Ku Klux Klan: Its Origin, Growth and Disbandment, Wheeler, Osborn & Duckworth Manufacturing Company, 1884, pp. 29-70, traduit de l’anglais (américain) par B.K.

(18) On se souviendra que les lois sur la Reconstruction ont été votées en mars 1867 et que la Reconstruction a commencé en avril 1867. [N.D.E.]
(19) « Des soldats, de retour au pays, ont décidé de punir les nègres qui étaient devenus notoirement et scandaleusement insolents envers les Blancs et, dans certains cas, de châtier les Blancs qui, à ce moment précis, avaient tendance à frayer avec les nègres. On voulait leur donner l’impression que ces rôdeurs nocturnes en robe blanche étaient les esprits des morts confédérés, qui avaient surgi de leurs tombes pour se venger d’une classe indésirable d’hommes blancs et noirs ». [Ryland Randolph].
(20) Ils étaient connus sous le nom de « tories » pendant la guerre civile. Il ne faut pas les confondre avec les véritables partisans de l’Union. [N.D.E.]
(21) Parfois appelée « Loyal League ». Voir, à propos de cette société secrète, Fleming, Civil War and Reconstruction in Alabama, ch. 16 et West Virginia University Documents relating to Reconstruction, n° 3. [N.D.E.]
(22) Sur ce point, le témoignage des généraux Forrest, John B. Gordon et E.W. Pettus, ainsi que de
(23) Pease, dans son roman In the Wake of War, donne une description très précise de la situation au Tennessee d’après le témoignage de quelqu’un qui connaissait parfaitement les conditions qui y régnaient. [N.D.E.]
(24) « Au printemps 1867 », affirme Wilson dans le Century Magazine de juillet 1884. La réunion s’est tenue au mois de mai, immédiatement après l’adoption des lois sur la Reconstruction. [N.D.E.]
(25) Je suis convaincu que les auteurs se trompent lorsqu’ils affirment que la première convention a adopté le Prescript qui contient ces déclarations. Le Prescript adopté est celui qui est reproduit à l’annexe I. L’autre, reproduit à l’annexe II, a été adopté, semble-t-il, en 1868. [N.D.E.]
(26) Les anciens Confédérés étaient pratiquement tous exclus du droit de vote. [N.D.E.]
(27) Les avis étaient affichés dans tous les lieux publics et même collés sur le dos des porcs et des vaches en liberté dans les rues. Mlle Cora R. Jones.
(28) La plupart des membres du Klan avaient été des soldats confédérés et connaissaient les exercices et la discipline militaires.
(29) Selon une estimation ultérieure, le Ku Klux Klan aurait compté 72 000 membres dans le seul Tennessee [Washington Post, 13 août 1905].
(30) Forrest a nié avoir fait une telle estimation. Il existait de nombreux autres ordres similaires au Ku Klux Klan et le nombre total de membres s’élevait probablement à environ un demi-million. [N.D.E.]
(31) Les femmes se sentaient plus en sécurité. « Arriva ensuite le temps de la loi martiale et du Freedmen’s Bureau. Cette période sombre de Reconstruction succéda rapidement aux horreurs de la guerre civile et le règne des carpetbagger débuta, ce qui poussa les gens au désespoir. Pour se protéger, les hommes les plus jeunes et les plus téméraires de la communauté formèrent une société secrète dont les membres se montraient la nuit sous la forme de personnages grotesques et effrayants. Elle s’appelait le Ku Klux Klan. Toujours silencieux et énigmatiques, ils se déplaçaient silencieusement à cheval dans l’obscurité, avec des têtes de mort luisantes, des squelettes et des chaînes. Ils semaient la terreur dans le cœur du malfaiteur, tandis que le citoyen paisible savait qu’une patrouille fidèle avait gardé ses locaux pendant son sommeil ». [Mme Stubbs, in Early Settlers of Alabama, p. 31]
(32) Une pratique non mentionnée ici consistait dans l’envoi d’avertissements et d’ordres particuliers. Des exemplaires en sont reproduits à l’annexe IV.
(33) « Nous nous réunissions habituellement environ une fois par semaine et nous discutions de la conduite de certaines personnes agressives et, si la majorité votait leur punition, ils étaient effectivement punis au cours de certaines nuits prescrites. Parfois, il était jugé nécessaire de placarder des avertissements qui, dans certains cas, suffisaient à alarmer suffisamment les victimes pour les inciter à modifier leur comportement » [Ryland Randolph].

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